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d’hommes que n’ont pas lassés encore les plaisirs qui tout naturellement l’éblouissent et la captivent, alors je sens que mes goûts, mes habitudes, mes occupations appartiennent à une autre saison de la vie, et je me demande avec inquiétude si mon caractère et mon âge sont propres à la rendre heureuse. C’est alors que je reconnais le vaste intervalle que le temps et les épreuves mettent entre une personne fatiguée du monde et celle pour qui le monde est encore tout nouveau. Si plus tard elle découvrait que la jeunesse ne devrait aimer que la jeunesse, ma plus amère angoisse serait le remords ! Je sais combien je l’aime, parce que je sens que son bonheur m’est mille fois plus cher que le mien. J’attendrai donc encore quelque temps ; je m’examinerai, je me surveillerai bien, afin de ne pas me tromper moi-même. Et pourtant je ne crois pas avoir de rivaux que je doive craindre. Entourée comme elle l’est par les hommes les plus jeunes et les plus brillants, elle se tourne néanmoins avec un plaisir évident vers moi, vers celui qu’elle appelle son ami. Elle renonce même aux amusements qu’elle aime le mieux, pour une société où nous pouvons causer plus à notre aise. Ainsi vous vous souvenez du jeune Legard ? Il est ici, et avant que j’eusse rencontré Éveline, il allait beaucoup chez lady Doltimore. Je ne puis me refuser à voir les avantages extérieurs que lui donne sur moi sa jeunesse ; il y a d’ailleurs quelque chose qui intéresse et qui prévient en sa faveur dans la franchise douce, et pourtant mâle, de ses manières ; cependant je ne suis tourmenté d’aucune crainte de rivalité de ce côté-là. Il est vrai, que dernièrement il s’est peu trouvé dans la société d’Éveline, et puis je ne crois pas que, dans la frivolité de ses goûts, il ait pu cultiver assez son esprit pour apprécier Éveline, ou pour acquérir les qualités qui le rendraient digne d’elle. Mais ce jeune homme a du bon, en dépit de ses travers ; il a quelque chose qui gagne ma confiance ; et vous sourirez en apprenant que, moi qui suis généralement si réservé en pareille matière, je me suis laissé entraîner à lui faire l’aveu de mon amour et de mes espérances. Éveline me parle souvent de sa mère, et me la décrit en termes si flatteurs que j’éprouve le plus grand intérêt pour une personne qui a concouru à former une âme si belle et si pure. Pouvez-vous découvrir ce qu’était lady Vargrave ? Il y a évidemment quelque mystère qui recouvre sa naissance