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bourru, la crainte, bien fondée, de ne pouvoir prétendre à la main de miss Cameron, qu’il faudrait disputer d’ailleurs aux droits antérieurs et reconnus de lord Vargrave, lui avaient fait accepter, presque par désespoir, la place qui lui avait été offerte ; mais il ne pouvait parvenir à bannir l’image qui avait, pour la première fois de sa vie, fait sur son cœur ardent et neuf une impression ineffaçable. Il s’irritait en secret de la pensée qu’il devait l’indépendance et la position dont il jouissait à un rival heureux, et il était résolu de saisir la première occasion de se débarrasser d’une obligation qu’il regrettait beaucoup d’avoir contractée. Enfin, il apprit qu’Éveline avait refusé lord Vargrave, qu’elle était libre ; quelques jours après la réception de cette nouvelle, l’amiral avait une attaque d’apoplexie, et Legard se trouvait soudain possesseur, sinon d’une grande opulence, du moins d’une fortune suffisante pour racheter son caractère de soupirant du soupçon qui s’attache à un chasseur d’héritières, à un aventurier. En dépit des nouveaux horizons que lui ouvrait la mort de son oncle, en dépit de l’humeur fantasque qui se mêlait à la bonté de l’amiral, et qui en diminuait le prix, Legard fut cruellement affligé de sa mort ; et son naturel reconnaissant et affectueux ne sentit d’abord que la douleur causée par la perte qu’il avait faite. Mais lorsque, remis de son premier chagrin, il se souvint qu’Éveline était libre, et que lui-même se trouvait dans une position à pouvoir honorablement prétendre à sa main, il ne put résister aux douces et tendres espérances qui se présentaient à lui. Comme nous l’avons vu, il se démit de ses fonctions, et il partit pour Paris. Il y arriva deux ou trois jours après lord et lady Doltimore. Le premier, qui n’avait pas oublié les avis de lord Vargrave, se montra d’abord froid et réservé à son égard ; mais, en partie par suite de l’habitude indolente qu’il avait prise de se soumettre aux arrêts de Legard dans toutes les questions de goût, en partie parce que la société de ce jeune homme lui plaisait, et surtout pour obéir aux suffrages de la mode qui n’avaient jamais manqué à Legard, et que sa nouvelle fortune n’était pas faite pour lui enlever, lord Doltimore, faible et vaniteux, eut bientôt cédé à l’influence de son ancien Camarade, et Legard devint tout naturellement l’enfant de la maison. En cette circonstance Caroline ne seconda pas très-fidèlement les vues et la politique de lord Vargrave. Dans sa singulière liaison avec lady Doltimore, l’astucieux diplomate avait commis la faute