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grès du mal qui embrasait déjà ses veines. La main qu’il tendit à M. Hobbs en montant en voiture, brûla presque les doigts froids, moites et gras de l’arpenteur. Avant six heures du soir lord Vargrave s’avoua à regret qu’il était trop malade pour continuer sa route.

« Howard, dit-il alors, rompant un silence qui durait depuis plusieurs heures, me vous effrayez pas de ce que je vais vous dire : je sens que je vais être sérieusement malade. Je m’arrêterai à M*** (c’était une grande ville dont ils n’étaient pas éloignés) ; j’enverrai chercher le meilleur médecin de l’endroit ; si j’ai le délire demain, ou si je suis hors d’état de donner mes ordres, ayez la bonté d’envoyer un exprès pour me ramener le docteur Holland ; mais ne me quittez pas vous-même, mon bon ami. À mon âge il est dur de n’avoir personne qui s’occupe de moi quand je suis malade. Quand je me porte bien, au diable les affections ! »

Après cette étrange sortie, dont M. Howard fut fort effrayé, Lumley retomba dans un silence qu’il ne rompit plus jusqu’à ce qu’il fût arrivé à M***. On envoya chercher le meilleur médecin ; et le lendemain matin, comme il l’avait en quelque sorte prévu et prédit, lord Vargrave avait le délire.


CHAPITRE VI

Il n’y a rien sous le ciel qui séduise autant les sens de l’homme, et qui s’empare autant de toute son âme, que l’amoureuse amorce de la beauté.
(Spenser.)

Legard, comme je l’ai déjà dit, était un jeune homme d’un naturel généreux et excellent, quoique gâté par l’éducation qu’il avait reçue, et par la société joyeuse et insouciante qui avait administré des excitants à sa vanité et des narcotiques à son intelligence. L’effet qu’avait produit sur lui la beauté d’Éveline, sa grâce, son innocence, avait été aussi profond que salutaire. Depuis lors, la dissipation avait perdu pour lui tout charme et toute saveur, et il avait appris à examiner plus attentivement son cœur et les devoirs de la vie. L’ennui d’être à charge à un oncle à la fois généreux et