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enfants, et leur enseigne l’amour du travail, la fierté de l’indépendance, le respect d’eux-mêmes et des autres ; en d’autres termes, la considération pour les qualités qui peuvent le mieux les faire parvenir dans le monde, et leur faire gagner le plus d’argent possible.

Envisagez la chose sous cet aspect, si vous voulez ; mais plus un état est sage, plus il est civilisé, et moins le fripon a de chances d’y faire ses affaires. Dans l’exemple paternel, dans l’enseignement professoral, il peut y avoir parfois de l’artifice, de l’hypocrisie, de l’avarice, et même de la dureté de cœur. Mais que sont ces petites infirmités auprès des vices qui naissent de la défiance et du désespoir ? Votre sauvage a ses vertus, mais elles sont presque toujours physiques : le courage, l’abstinence, la patience. Les vertus mentales et morales sont nombreuses ou rares, en proportion de l’extension des idées, et des exigences de la vie sociale. Chez le sauvage elles doivent donc être moins nombreuses que chez l’homme civilisé ; elles se bornent par conséquent à ces simples et grossiers éléments que la sécurité de sa position lui rend nécessaires. Il est généralement hospitalier, quelquefois honnête. Mais certains vices sont aussi nécessaires à son existence que des vertus : il est en guerre avec une tribu qui peut détruire la sienne ; et la perfidie sans scrupule, la cruauté sans remords, lui sont essentielles, il en sent la nécessité, et il les décore du nom de vertus ! Même l’homme à demi civilisé, l’Arabe dont vous faites l’éloge, s’imagine que votre argent lui est nécessaire ; et le vol lui devient une vertu. Mais dans les états civilisés les vices du moins ne sont pas nécessaires à l’existence de la majorité ; ils n’y sont donc pas encensés comme vertus. La société se ligue contre eux ; la perfidie, le vol, le meurtre ne sont pas essentiels à la puissance ou à la sécurité de la communauté ; ils existent, c’est vrai, mais loin d’être encouragés ils sont punis. Le voleur du quartier de Saint-Giles a les vertus de votre sauvage : il est fidèle à ses camarades, il est brave dans le danger, il est patient dans les privations ; il pratique les vertus nécessaires aux exigences de son métier, et aux lois tacites de sa vocation. Il eût fait un admirable sauvage ; ce qui n’empêche pas que la masse des hommes civilisés vaut mieux que le voleur. »

Maltravers, frappé de cette observation, réfléchit un moment avant de répondre ; puis il changea de terrain.

« Mais du moins toutes nos lois, tous nos efforts, n’en sont