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un sentiment plus élevé de la dignité de l’homme, n’entraînent aucun bouleversement de la société. Qu’on donne ces avantages à toute la masse des classes ouvrières, et ce qui, dans un petit cercle, n’est que le désir de s’élever d’un seul individu, devient dans une vaste circonférence le désir de s’élever de toute une classe ; de là provient la fermentation sociale, puis le bouleversement social, puis la révolution et tous ses hasards. Car les révolutions ne sont produites que par les aspirations d’une classe et la résistance de l’autre. Le progrès législatif diffère donc considérablement de l’amélioration individuelle ; le même principe qui purifie un petit corps, devient destructif quand on l’applique à un grand. Mettez le feu à une bûche dans l’âtre, ou mettez-le à une forêt, le résultat ne sera-t-il pas bien différent ? La brise qui rafraîchit la source n’a qu’à souffler sur l’océan, et voilà le courant qui pousse le courant, le flot qui presse le flot ; la brise devient ouragan.

— S’il y avait du vrai dans votre argument, répondit Montaigne, si l’on s’était abstenu de faire participer la multitude aux jouissances et aux avantages du petit nombre ; si l’on avait reculé devant le bien, parce que le bien engendre le changement avec ses maux partiels ; que serait maintenant la société ? N’y a-t-il pas une différence de bonheur et de vertu collectifs entre l’état de votre patrie au temps des Pictes et des Druides, et l’harmonie, les lumières, et l’ordre dont resplendit de nos jours la grande nation anglaise ?

— Voilà ce que j’appelle une question populaire, dit Maltravers, en souriant, et si vous étiez mon antagoniste dans n’importe quelle élection du royaume de la Grande-Bretagne, vous seriez sûr d’être couvert d’applaudissements. Mais j’ai vécu parmi des tribus sauvages, aussi sauvages peut-être que la race qui résista à César, et leur bonheur m’a semblé sinon égal à celui du petit nombre de gens dont les sources de jouissance sont nombreuses, élevées, et sans autre alliage que celui de leurs passions, du moins égal à celui de la masse des hommes, dans les états les plus civilisés et les plus avancés. Les artisans qui se pressent dans l’atmosphère fétide des fabriques, rongés de maux physiques qui les consument depuis le berceau jusqu’à la tombe ; s’épuisant dans un travail pénible de l’aurore au coucher du soleil, et cherchant quelque distraction à leurs maux dans l’excitation fatale de la boisson, ou dans les vagues et extravagantes