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assister les individus par des efforts individuels ; quoiqu’il ne puisse pas, par des théories abstraites, ni même par son action pratique dans un vaste cercle, rendre service aux masses.

— N’employez-vous pas à l’égard des individus les mêmes influences morales qu’une sage législation, ou qu’une saine philosophie adopterait à l’égard de la multitude ? Par exemple vous trouvez que les enfants de votre village sont plus heureux, mieux disciplinés, plus obéissants, et promettent de devenir, dans leur rang social, des hommes meilleurs et plus sages, grâce au système d’enseignement nouveau, et excellent, je vous l’accorde, que vous avez établi dans vos écoles. Ce que vous avez fait dans un village, pourquoi la législation ne le ferait-elle pas dans un royaume ? De même, vous trouvez qu’en offrant l’espérance et l’émulation au travail, en faisant de rigoureuses distinctions entre les hommes énergiques et les hommes indolents, entre le labeur indépendant et le paupérisme mendiant, vous avez trouvé un levier au moyen duquel vous avez littéralement soulevé et retourné le petit monde qui vous environne. Mais quelle est ici la différence entre les règlements d’un seigneur de village et les lois d’une sage législature ? Les sentiments moraux auxquels vous avez fait appel existent partout : les remèdes moraux que vous avez employés sont aussi accessibles à la législation qu’à un particulier.

— Oui, mais quand on applique à une nation les mêmes principes qui régénèrent un village, de nouveaux principes s’élèvent par compensation. Si je donne de l’éducation à mes paysans, je les envoie dans le monde avec des avantages supérieurs à ceux de leurs confrères ; avantages qui, n’étant pas l’apanage général de leur classe, leur permettent de prendre le pas sur leurs semblables. Mais si cette éducation était commune à tous, nul homme n’aurait d’avantage sur les autres ; les connaissances qu’ils ont acquises étant l’apanage de chacun, tous resteraient ce qu’ils sont aujourd’hui : fendeurs de bois et porteurs d’eau. Le principe de l’espoir individuel, qui naît du savoir, serait bientôt anéanti par la concurrence que produirait le savoir universel. L’amélioration universelle n’engendrerait donc que le mécontentement universel.

Examinons le sujet sous un aspect moins étroit. Les avantages donnés au petit nombre qui m’environne, c’est-à-dire : des gages plus considérables, des travaux moins pénibles,