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effets. Ainsi Montaigne considérait qu’on a tort d’attacher plus d’importance aux réformes législatives qu’aux réformes sociales. Par exemple, il jugeait que le signe le plus certain du progrès de la civilisation est la répugnance croissante qu’inspire la peine capitale. Il croyait, non pas à la perfection définitive de l’humanité, mais à sa perfectibilité progressive. Il pensait que le progrès est indéfini ; mais il ne prétendait pas que la forme républicaine lui fût plus favorable que la forme monarchique.

Pourvu que les freins que nous imposons au pouvoir soient bien entendus, disait-il souvent, il importe peu à quelles mains le pouvoir lui-même est confié.

Ægine et Athènes, selon lui, étaient des républiques, commerciales et maritimes, situées sous le même ciel, entourées des mêmes voisins, déchirées par les mêmes luttes entre l’oligarchie et la démocratie. Néanmoins tandis que l’une a laissé au monde un immortel héritage de génie, où sont les poètes, les philosophes, les législateurs qu’a produits l’autre ? Arrien parle de républiques dans l’Inde dont les recherches modernes supposent encore l’existence ; mais elles n’ont pas plus développé la liberté de la pensée ni les progrès de l’intelligence que les monarchies. En Italie il y avait des républiques aussi libérales que celles de Florence ; mais elles n’ont produit ni un Machiavel, ni un Dante. Que de pensées hardies, que de spéculations gigantesques, quelle démocratie du génie et de la sagesse, ont surgi au milieu des états despotiques de l’Allemagne ! On ne peut élever deux individus de façon à obtenir chez tous deux des résultats identiques ; de même on ne peut, par des constitutions semblables (qui sont l’éducation des nations) obtenir les mêmes résultats chez des communautés différentes. Le but d’un homme d’état devrait être de faciliter au peuple les moyens de se développer, et à la philosophie la liberté de discuter les objets ultérieurs qu’il s’agit d’obtenir. Mais un législateur pratique ne peut placer son pays sous une cloche à melons ; le pays doit pousser tout seul.

Je ne décide pas si Montaigne avait tort ou raison ; mais Maltravers voyait du moins qu’il était fidèle à ses théories ; que ses opinions étaient toujours sincères, et sa pratique toujours pure. Il ne pouvait s’empêcher de convenir que Montaigne paraissait éprouver une sublime jouissance dans ses occupations et ses travaux ; qu’en attachant toutes les puissances de son esprit à des objets d’activité et d’utilité, il