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lui assuraient une position plus importante dans les cours étrangères qu’à la cour d’Angleterre. Il y avait deux choses qui l’avaient bien dégoûté de Lisle Court ; deux bagatelles pour d’autres, mais qui ne l’étaient pas pour Cuthbert Maltravers. En premier lieu un homme qui avait été le procureur de son père, et qui était l’incarnation même de la familiarité grossière et indiscrète, avait acheté une propriété voisine de Lisle Court, et horresco referens, il avait été créé baronnet ! Sir Grégory Gubbins prenait le pas sur le colonel Maltravers ! celui-ci ne pouvait faire une promenade à cheval sans rencontrer sir Grégory : il ne pouvait aller dîner en ville sans avoir le plaisir de se trouver derrière l’habit bleu à boutons de cuivre poli de sir Grégory.

La dernière fois qu’il était allé à Lisle Court, où il avait rassemblé une nombreuse et élégante compagnie, il avait vu, dès le premier jour qui suivit son arrivée, il avait vu, dis-je, de la fenêtre de son salon de réception, un grand objet blanc, rouge, bleu et or, fort apparent au bout de la majestueuse avenue plantée par sir Guy Maltravers, en l’honneur de la victoire remportée sur la flotte espagnole. Il considéra cet objet dans un muet étonnement, et tous ses invités en firent autant. Un comte allemand plein de courtoisie, mit son lorgnon pour le regarder, et dit :

— Ah ! voilà ce que vous appelez un caprice dans votre pays ! le caprice du colonel Maltravers !

Ce caprice était la pagode de sir Grégory Gubbins, érigée en imitation du Pavillon de Brighton. Le colonel Maltravers dès lors fut malheureux : le caprice le poursuivait ; il semblait posséder le don d’ubiquité, l’infortuné ne pouvait y échapper, car la pagode était construite sur le point le plus élevé du comté ; qu’il montât à cheval, qu’il marchât, qu’il restât chez lui, il l’apercevait de partout ; et il croyait voir de petits mandarins qui secouaient, en le regardant, leurs petites têtes rondes. C’était là un des grands fléaux de Lisle Court ; l’autre était encore plus amer. Les propriétaires de Lisle Court avaient depuis plusieurs générations possédé l’influence dominante dans la ville principale du comté. Le colonel lui-même s’occupait peu de politique, il était trop grand seigneur pour se plonger dans les travaux parlementaires. Il avait offert le siège dont il disposait à Ernest lorsque celui-ci avait commencé sa carrière politique, mais le résultat de leurs entretiens à ce sujet leur avait fait voir que leurs opinions politiques n’étaient pas les mêmes et la né-