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Maltravers regardait comme une singulière preuve de l’obstination des sophismes la persistance des Français à perpétuer, en dépit des leçons de l’expérience, ce vice politique, à bâtir l’édifice de tout gouvernement sur le principe de la centralisation, qui peut bien assurer la force momentanée des États, mais qui amène invariablement leur brusque renversement. C’est en effet le tonique dangereux qui semble fortifier tout le système, mais qui, en appelant le sang à la tête, cause l’apoplexie et la folie. Par la centralisation les provinces sont affaiblies, c’est vrai ; mais elles le sont si bien qu’elles ne peuvent pas plus aider le gouvernement que le combattre ; elles n’ont pas même la force de résister à une émeute. Nulle part, de nos jours, l’émeute n’est si puissante qu’à Paris ; l’histoire politique de Paris, c’est l’histoire des émeutes. La centralisation est une excellente panacée pour un despote qui me tient pas à prolonger le pouvoir au delà de la durée de sa vie, qui n’a qu’un intérêt viager dans la prospérité de l’État. Mais, pour la véritable liberté, pour l’ordre permanent, la centralisation est un poison mortel. Plus les provinces gouvernent leurs affaires, plus chaque chose, même les routes et les chevaux de poste, est laissée à la direction du peuple, plus l’esprit municipal envahit toutes les veines du vaste corps de l’État, et plus on peut être assuré que les réformes et les changements devront provenir de l’opinion universelle, qui est lente à se former, et qui édifie avant de détruire, au lieu de sortir de la clameur publique, qui est soudaine et imprévue, et qui non-seulement renverse l’édifice, mais qui même en vend les pierres.

Une autre singularité de la Constitution française frappa Maltravers, et lui parut incompréhensible. Ce peuple si imbu de l’esprit républicain, ce peuple qui avait tant sacrifié à la liberté, ce peuple qui, au nom de la liberté, avait commis tant de crimes avec Robespierre, et s’était couvert de tant de gloire avec Napoléon, ce peuple se soumettait, comme peuple, à être exclu de tout pouvoir et privé de toute voix délibérative dans le gouvernement ! sur trente trois millions de sujets, moins de deux cent mille électeurs ! Y eut-il jamais oligarchie semblable ? Quelle anomalie dans l’architecture politique que de construire une pyramide renversée ! Où était la soupape de sûreté du gouvernement ? Où se trouvaient les issues naturelles par où sortirait la flamme d’une population aussi facile à embraser ? Le peuple lui-même restait populace ; pas de participation au gouver-