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CHAPITRE II

Monstra evenerunt mihi,
Introit in aedes ater alienus canis,
Anguis per impluvium decidit de tegulis,
Gallina cecinit !

(Térence.)

Avec toute la force d’âme qui lui était naturelle, et fidèle à ses théories, Maltravers continuait à lutter contre la dermière et la plus violente passion de sa vie. On pouvait voir, à la pâleur de son front, et à cette indescriptible expression de souffrance qui se révèle dans les lignes de la bouche, que sa santé était altérée par ce conflit intérieur. Plus d’une absence soudaine, plus d’un mouvement de distraction, plus d’un soupir impatient, suivi d’une gaieté forcée et contrainte, signalait à la clairvoyance de Valérie qu’il était en proie à une douleur que sa fierté l’empêchait de révéler. Il s’efforçait néanmoins de prendre, ou d’affecter de l’intérêt pour les singuliers phénomènes de l’état social qui l’environnait, phénomènes qui, dans une disposition d’esprit plus heureuse et plus sereine, auraient assurément fourni une ample matière à ses Conjectures et à ses réflexions.

L’état de transition est l’état actuel de presque toutes les sociétés éclairées de l’Europe. Mais nulle part il n’est aussi prononcé que dans ce pays qu’on peut appeler le cœur de la civilisation européenne. Là tous les liens sociaux paraissent brisés, flottants, incomplets : l’ancien ordre de choses ne présente plus que des ruines, le nouveau n’y est pas encore formé. C’est peut-être le seul pays où le principe organisateur n’ait pas marché du même pas que le principe de désorganisation. Ce qui fut est rayé de la page. Ce qui sera n’apparaît encore que comme la silhouette nébuleuse d’une terre lointaine, au-delà d’une mer vaste et houleuse.

Maltravers, qui depuis plusieurs années n’avait pas étudié la marche de la littérature moderne, examina avec un mélange de surprise, de dégoût, et parfois d’admiration involontaire mêlée de défiance, les divers ouvrages qu’ont produits les successeurs de Voltaire et de Rousseau, et qu’il leur con-