Page:Bulwer-Lytton - Alice ou les mystères.pdf/259

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tions s’étaient développées, son corps, quoique toujours maigre et svelte, était devenu plus nerveux et plus vigoureux. On eût dit que dans les moments de torpeur qui succédaient à ses accès de frénésie, la partie animale profitait chez lui de la somnolence ou de la désorganisation de la partie intellectuelle. Dans ses jours de calme, où les hommes de l’art pouvaient seuls s’apercevoir de sa maladie, son occupation de prédilection était la lecture. Mais il se plaignait amèrement, quoique laconiquement, de l’emprisonnement auquel il était condamné, et de l’injustice dont il était victime. Et lorsque, évitant ses compagnons d’infortune, il se promenait d’un air sombre dans les jardins qui entouraient cette maison de douleur, tantôt ses gardiens invisibles le voyaient serrer les poings et menacer un ennemi imaginaire ; tantôt ils l’entendaient accuser quelque fantôme, créé par son cerveau, des tourments qu’il endurait.

Bien que le lecteur puisse aisément reconnaître que Lumley Ferrers était la cause de sa démence et l’objet de ses imprécations, il n’en était pas de même des Montaigne, ni des gardiens et des médecins du patient ; car dans son délire il ne donnait jamais un nom aux ombres qu’il évoquait, pas même à celle de Florence. En effet il n’est pas rare de voir les fous éviter, comme par une espèce de ruse, toute mention des noms des personnes qui ont causé leur folie. On dirait que ces infortunés se figurent qu’ils pourront mieux dissimuler leur égarement, en ne révélant pas les images qui s’y rattachent.

Telle était à cette époque la misérable condition de cet homme, dont les talents promettaient une belle et honorable carrière, n’eût été la malheureuse disposition de son esprit, depuis l’enfance, à encourager tous les sentiments malsains et mauvais de son âme comme autant de témoignages de son génie. Montaigne, quoiqu’il abordât aussi brièvement que possible cette sombre calamité domestique dans ses premières entrevues avec Maltravers (dont la conduite dans cette funèbre histoire de crimes et de douleurs avait été, selon lui, marquée du sceau de la générosité la plus admirable), trahit néanmoins une émotion qui faisait bien voir que le repos de son existence avait été empoisonné.

« Je cherche à consoler Teresa, dit-il en détournant son mâle visage, en lui montrant toutes les bénédictions que le ciel lui laisse encore. Mais ce frère trop aimé, dont les ta-