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pas attention, car ses mouvements étaient toujours bizarres et imprévus. Teresa se retira bientôt après avec ses enfants, et Montaigne, un peu fatigué de ses travaux et de l’excitation du matin, s’étendit dans son fauteuil pour dormir quelques instants. Il fut réveillé soudain par une sensation douloureuse de strangulation, réveillé juste à temps pour lutter contre une étreinte vigoureuse qui lui serrait la gorge. Les ombres du soir avaient plongé la chambre dans l’obscurité, et à part deux yeux flamboyants et sauvages fixés sur lui, il pouvait à peine distinguer son assaillant. À la fin pourtant, il réussit à se dégager, et à lancer par terre l’homme qui voulait l’assassiner. Il appela du secours ; les domestiques accoururent avec des flambeaux ; il reconnut son beau-frère ! Césarini, quoique en proie à de violentes convulsions, poussait des cris et des imprécations de vengeance ; il traitait Montaigne de traître et d’assassin. Dans le sombre désordre de son esprit, il avait pris son protecteur pour l’ennemi absent, dont le nom seul évoquait les fantômes de la tombe et plongeait sa raison dans les fureurs de la démence.

Il était dès lors évident que l’état de Césarini offrait du danger pour les jours de ses proches. Il fut déclaré que sa folie n’était pas susceptible d’une guérison certaine et permanente. On le plaça dans un nouvel établissement d’aliénés, situé à peu de distance de Versailles, et dont les directeurs étaient célèbres par leur humanité et leur habileté. C’est là qu’il était encore à l’époque dont nous parlons. Récemment ses intervalles de lucidité étaient devenus plus longs et plus fréquents ; mais des circonstances insignifiantes, qui prenaient subitement naissance dans son esprit, et que nulle précaution ne pouvait prévoir ou empêcher, suffisaient à ramener ses accès dans leur violence la plus terrible. Dans ces moments-là on était obligé de le surveiller avec la plus étroite vigilance. Car sa folie revêtait toujours un effrayant caractère de férocité ; et s’il n’eût été attaché, le plus fort et le plus intrépide de ses gardiens aurait redouté d’entrer désarmé dans sa cellule.

Ce qui faisait paraître cette maladie mentale plus triste et plus incurable, c’était le développement physique de sa santé et de ses forces. Ce phénomène n’est pas rare dans certains cas de folie, et c’est en général un très-mauvais symptôme. Dans sa première jeunesse Césarini avait été fort délicat, efféminé même ; mais à présent ses propor-