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époux sont moins enchaînés l’un à l’autre, ils ont plus d’indépendance, la femme aussi bien que le mari, et ils trouvent plus facilement au dehors des occupations et des distractions. Mme de Ventadour, en se tenant à l’écart des frivoles passe-temps de la société, des salons encombrés, des conversations insipides et des sourires du monde, apprécia davantage les plaisirs que pouvaient procurer à son intelligence élégante et cultivée l’art, le talent et les relations de l’amitié. Elle attira autour d’elle les esprits les plus cultivés de son époque et de son pays. Ses connaissances, son esprit, et les grâces de sa conversation non-seulement la plaçaient sur un pied d’égalité avec les hommes les plus éminents, mais aussi la mettaient à même de mêler harmonieusement les différentes variétés de talent. Les mêmes personnes, quand on les rencontrait ailleurs, semblaient avoir perdu leur charme ; sous le toit de Valérie chacun respirait une atmosphère qui lui était favorable. Puis la musique, les lettres, et toutes les choses qui peuvent élever et embellir la vie civilisée, offraient leur contingent de ressources à cette femme belle et heureusement douée. Voilà comme elle découvrit que l’esprit a ses stimulants et ses occupations aussi bien que le cœur, avec cette différence que la culture qu’on lui donne produit toujours des fruits. On parle de l’éducation des pauvres, et l’on oublie combien les riches en ont besoin aussi. Valérie était une preuve vivante de l’avantage qu’il y a pour les femmes à posséder des connaissances et des ressources intellectuelles. C’était grâce à cette supériorité qu’elle avait épuré son imagination, qu’elle avait surmonté son découragement, qu’elle s’était réconciliée avec son sort ! Quand le poids du cœur faisait pencher la balance, l’esprit rétablissait l’équilibre.

Le charme de Mme de Ventadour attira Maltravers dans le cercle enchanté de ce qu’il y avait de plus élevé, de plus pur, de mieux doué dans la société parisienne. Il n’y rencontra pas, comme il y aurait rencontré sous l’ancien régime, de brillants abbés tout préoccupés d’intrigues, ou de vieilles douairières amoureuses, parlant de Rousseau avec éloquence, ou des courtisans poudrés, lançant des épigrammes contre les rois et les religions, tous ces fétus de paille qui s’élevaient dans l’air comme pour présager l’ouragan. Paul-Louis Courier avait raison : Les Français sont toujours Français ; ils sont pleins de belles phrases, et leurs pensées sentent le théâtre ; ils prennent le clinquant pour des dia-