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que rien ne doit changer et des affections que rien ne peut éteindre ?

Combien, lorsqu’ils causaient avec toute l’aisance d’une cordiale et innocente amitié, combien Valérie se réjouissait que cette amitié ne fût souillée d’aucune honte ! comme elle s’applaudissait de n’avoir pas sacrifié d’avance ces consolations qui la dédommageaient maintenant d’une vie sans amour, mais désormais saintement résignée, ces consolations qui ne se trouvent que dans la conscience satisfaite et dans un légitime orgueil.

M. de Ventadour n’avait pas changé, sauf que son nez s’était allongé, et qu’il portait une perruque frisée, au lieu de ses cheveux plats. Mais, je ne sais comment, peut-être uniquement par le charme de l’habitude, il était devenu plus agréable aux yeux de Valérie. L’habitude l’avait réconciliée avec ses travers, ses lacunes, ses défauts ; et, en le comparant à d’autres, elle avait appris à apprécier ses bonnes qualités : sa générosité, sa belle humeur, sa bonhomie, et son indulgence sans bornes envers elle. Le mari et la femme ont tant d’intérêts en commun, que, lorsqu’ils ont traversé ensemble les vicissitudes de la vie pendant un temps suffisant, le collier qui les blessait d’abord finit par leur devenir léger et presque nécessaire, et, à moins que l’humeur ou plutôt le caractère et le cœur de l’un ou de l’autre ne soient insupportables, ce qui était jadis un joug pénible ne devient plus qu’un lien amical. Quant au reste, maintenant que le sentiment et l’imagination de Valérie s’étaient calmés, elle pouvait prendre plaisir à mille choses que lui faisait méconnaître et dédaigner naguère le vide de son cœur. Elle était reconnaissante des avantages que lui procuraient son rang et son opulence et elle cueillait les roses qui se trouvaient à sa portée, sans soupirer après les amarantes de l’Élysée.

Si les grands ont plus de tentations que les gens de la classe moyenne, et si leur sentiment de la jouissance devient plus facilement émoussé et apathique, du moins, lorsqu’ils peuvent surmonter leur satiété, ils ont bien plus de ressources à leur disposition. Il y a beaucoup de vrai dans ce vieux vers, tout déplaisant qu’il soit à ceux qui rêvent l’amour dans une chaumière : « Il vaut mieux se repentir dans un carrosse à six chevaux. » Si parmi les Eupatrides, les Bien-Nés, il y a moins d’amour dans le mariage, moins de paisible bonheur sous le toit conjugal, du moins les