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de ce mal si fréquent, un amour sans espoir, ou un caprice mal placé.

En effet, Maltravers, habitué à vaincre aussi bien qu’à cacher ses émotions, s’efforçait courageusement et sans relâche de détrôner l’image qui avait pris possession de son cœur. Toujours fier de son empire sur lui-même, et toujours adorateur de sa vertu de prédilection, le courage moral, il ne voulait pas se livrer lâchement à une passion dont il avait stoïquement voulu fuir l’objet. Mais pourtant l’image d’Éveline le poursuivait partout ; elle se présentait à lui à l’improviste, dans la solitude, au milieu de la foule. Ce sourire, si réconfortant et si doux, qui avait toujours le pouvoir de chasser les nuages de son âme, cet épanouissement jeune et riche de pensées pures et éloquentes, semblable à la floraison du génie, avant qu’il ait porté ses fruits amers et doux à la fois ; cette rare alliance de la vivacité des sentiments et de la sérénité du caractère, qui forme l’idéal même de ce qu’on rêve chez sa maîtresse et de ce qu’on exige chez sa femme : tout cela lui revenait à la mémoire, après chaque nouveau combat qu’il se livrait, plus même, bien plus, que les formes exquises ou les grâces délicates d’une beauté moins durable. Le temps ne servait qu’à graver plus profondément dans son cœur cette impression ineffaçable.

Maltravers renouvela connaissance avec quelques personnes que le lecteur connaît déjà.

Valérie de Ventadour ! Que de souvenirs des beaux jours de sa vie étaient, pour lui, associés à ce nom ! Précisément parce qu’elle ne lui avait jamais inspiré d’amour véritable, et qu’elle n’avait fait qu’éveiller son imagination (l’imagination d’un jeune homme de vingt-deux ans !), son image avait conservé pour lui une teinte aimable et charmante. À ce souvenir il ne se mêlait ni amère douleur, ni austère regret, ni sombre remords, ni honte cuisante.

Ils se revirent. Mme de Ventadour était encore belle, et encore admirée ; peut-être plus admirée que jamais, car la mode et la célébrité donnent aux grands une seconde jeunesse plus fêtée que la première. Mais si Maltravers se réjouit de voir avec quelle mansuétude le temps avait traité la belle Française, il fut encore plus heureux d’apercevoir sur ses traits charmants une expression plus sereine, plus satisfaite que naguère. Valérie de Ventadour avait précédé son jeune admirateur dans les mystères de la vie ; elle avait appris à en connaître le véritable but ; elle savait distinguer