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ambitieux ; et pour Lumley l’ambition et l’intérêt personnel étaient synonymes. Ainsi, grâce à sa finesse même, Vargrave qui jugeait les gens du monde avec un tact d’observation infaillible, une fois en face de natures et de caractères d’un ordre plus élevé, manquait toujours son but parce qu’il le dépassait. D’ailleurs s’il avait eu quelque défiance de Maltravers, les assurances de Caroline l’auraient dissipée. Il était en effet bien singulier que Caroline ne se fût aperçue de rien ; il n’en eût pas été de même si elle eût été moins absorbée par ses projets et le soin de sa propre destinée. Toute sa pénétration habituelle avait fini par se concentrer sur elle-même. D’ailleurs un sentiment de malaise, produit par la répugnance de sa conscience à seconder les projets de Vargrave, et aussi par une irritation jalouse à la pensée que Vargrave allait épouser une autre femme, l’avait empêché de rechercher avec autant d’empressement les entretiens intimes et les confidences d’Éveline.

La conférence tant redoutée était passée. Éveline s’était séparée de Vargrave animée des sentiments qu’il avait voulu lui laisser. Du moment où il cessa d’être son amant, elle reprit pour lui toute son ancienne amitié d’enfance. Elle compatissait à son abattement ; elle respectait sa générosité, elle lui était profondément reconnaissante de sa modération. Mais pourtant… pourtant elle était libre, et son cœur tressaillait de joie à cette pensée.

Cependant Vargrave, après ses adieux solennels à Éveline, s’était retiré dans sa chambre, où il resta jusqu’à l’arrivée de ses chevaux de poste. Lorsqu’il descendit au salon, il fut bien aise de n’y trouver ni Aubrey ni Éveline. Il savait qu’il serait inutile de dépenser beaucoup d’affectation hypocrite vis à vis de M. et de Mistress Merton. Il les remercia de leur hospitalité avec une cordialité sérieuse et laconique ; puis il se tourna vers Caroline, qui se tenait à l’écart près de la fenêtre.

« C’est fait de moi à présent, lui dit-il à voix basse. Je vous laisse, Caroline, dans l’attente de la fortune, du rang et de la prospérité ; c’est là une consolation. Pour moi, je ne vois que difficultés, embarras, et pénurie dans l’avenir ; mais je ne désespère de rien ; plus tard vous me servirez peut-être comme je vous ai servie. Adieu !… Je viens de conseiller à Caroline de ne pas trop gâter Doltimore, mistress Merton ; il a déjà bien assez de vanité comme ça. Adieu ! que Dieu vous bénisse tous ! Mes amitiés à vos petites filles. Faites-