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à quel point il est insensé pour l’homme de compter sur l’avenir, et quelle fatale erreur votre oncle a commise, en imposant des conditions que pouvaient renverser à tout moment les hasards de la vie et les caprices de l’affection ! Mais à qui la faute ? ce n’est pas aux vivants, il faut s’en prendre aux morts.

— Monsieur, je me suis considéré comme engagé par la prière de mon oncle à conserver libres ma main et mon cœur, afin que ce titre, cette misérable et stérile distinction, pût appartenir un jour à Éveline, ainsi qu’il le souhaitait si ardemment. J’avais le droit de m’attendre à un égal honneur de sa part !

— Assurément, mylord, vous à qui le feu lord, à son lit de mort, a confié les motifs de sa conduite et le secret de sa vie, vous devez savoir que, tout en désirant seconder votre fortune, et unir dans une seule maison son rang et ses richesses, le désir le plus cher à son cœur était le bonheur d’Éveline ; vous devez savoir que si ce bonheur était compromis par son mariage avec vous, ce mariage ne devenait plus pour lui qu’une considération secondaire. Le testament même de lord Vargrave en est la preuve. Il n’a pas imposé à Éveline, comme condition absolue, son union avec vous ; il ne prononce pas, en punition de son refus, la confiscation de toute sa fortune. En fixant une limite au dédit qu’elle vous devra, il établit une différence entre un ordre et un désir. Ainsi, tout bien considéré, vous devez reconnaître, mylord, qu’avec un dédit et le majorat attaché à votre titre votre oncle a fait pour vous tout ce que pouvaient réclamer au point de vue du monde l’équité et l’affection. »

Vargrave sourit avec amertume sans dire un mot.

« Si vous en doutiez, j’ai des preuves encore plus positives de ses intentions. Telle était sa confiance en lady Vargrave, que, dans une lettre qu’il lui adressa avant sa mort, et que je vous soumets maintenant, mylord, vous verrez que, non-seulement il laisse à lady Vargrave pleine liberté de confier à Éveline l’histoire qu’elle ignore en ce moment, mais qu’il y détermine aussi de la manière la plus claire la ligne de conduite qu’il veut qu’on adopte avec Éveline et vous-même. Permettez-moi de vous signaler le passage en question. »

Lord Vargrave parcourut avec impatience la lettre qu’Aubrey avait placée entre ses mains, jusqu’à ce qu’il arrivât à ces mots :