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de lord Vargrave, l’expérience qu’on avait tentée, en envoyant Éveline chez les Merton, avait complétement échoué. Elle ne pouvait envisager sans répugnance la pensée de son mariage avec lui, et elle avoua au pasteur, franchement et sans réserve, le désir qu’elle éprouvait de se libérer de son engagement. Comme il était décidé qu’elle s’en retournerait à Brook Green avec Aubrey, il était, en effet, nécessaire d’en venir, avec son fiancé, à un éclaircissement trop longtemps différé, mais c’était chose difficile ; Vargrave s’était si peu avancé, il n’avait fait que des allusions si indirectes à l’engagement en question, qu’il y aurait eu une espèce d’effronterie, d’inconvenance de la part d’Éveline à prévenir l’explication qu’elle souhaitait si ardemment, et qu’elle ne redoutait guère moins. Mais ce fut Aubrey qui se chargea de cette mission ; et à cette promesse Éveline éprouva le soulagement d’un esclave dont on vient de briser les fers.

À déjeuner, le lendemain, M. Aubrey fit part aux Merton de l’intention qu’avait Éveline de s’en retourner avec lui à Brook Green, le jour suivant. Lord Vargrave tressaillit, se mordit les lèvres, mais ne dit rien.

Il n’en fut pas de même de M. Merton.

« S’en retourner avec vous !… Mon cher monsieur Aubrey, y pensez-vous ? c’est impossible ! C’est que, voyez-vous, le rang de miss Cameron, sa position… cela paraîtrait si singulier ; elle n’a pas de domestiques ici, excepté sa femme de chambre ; pas même de voiture ! Vous ne voudriez pas qu’elle fît en chaise de poste un si long voyage. Lord Vargrave, vous n’y consentirez jamais, j’en suis sûr ?

— Ne fût-ce qu’en qualité de tuteur de miss Cameron, dit lord Vargrave d’un air fin, je m’opposerais, assurément, à cette façon de voyager. Peut-être M. Aubrey se propose-t-il de couronner son projet en prenant deux places d’impériale ?

— Pardonnez-moi, dit le prêtre avec douceur ; je ne suis pas aussi ignorant des égards dus à miss Cameron que vous paraissez le croire. La voiture de Lady Vargrave, qui m’a amené ici, doit être un moyen de transport convenable pour la fille de Lady Vargrave. Et miss Cameron n’est pas à ce point gâtée, j’espère, par toutes vos aimables attentions, qu’elle ne puisse accomplir un voyage de deux jours sans autre protection que la mienne.

— J’oubliais la voiture de Lady Vargrave, ou plutôt je ne savais pas que vous vous en fussiez servi, mon cher monsieur, dit M. Merton. Mais il ne faut pas nous en vouloir si