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inconnue. Je puis, du moins, vous dire ceci (car lady Vargrave ne cherche pas elle-même à le cacher) : que de bonne heure elle a été en butte à des épreuves auxquelles, plus heureuse, vous avez échappé. Elle ne vous parle pas de sa famille, car elle n’en a plus sur la terre. Et après son mariage avec votre bienfaiteur, Éveline, peut-être considéra-t-elle comme une question de principes de bannir tout inutile regret, tout souvenir, s’il était possible, de ses premiers liens.

— Ma pauvre chère mère ! Oh ! oui, vous avez raison ; pardonnez-moi. Peut-être pleure-t-elle mon père, que je n’ai jamais vu, qu’il m’est tacitement défendu, je le sens, de nommer. Vous ne l’avez pas connu ?

— Qui donc ?

— Mon père ; le premier mari de ma mère ?

— Non.

— Mais je suis bien sûre que je n’aurais pu l’aimer mieux que mon bienfaiteur, mon second, mon véritable père, qui n’est plus maintenant. Oh ! que je me le rappelle bien, lui ! Que son souvenir m’est cher ! »

Éveline s’interrompit et fondit en larmes.

« Vous faites bien de vous en souvenir ainsi ; d’aimer, de vénérer sa mémoire ; il fut véritablement un père pour vous. Mais à présent, Éveline, ma chère enfant, écoutez-moi. Respectez le cœur silencieux de votre mère. Ne lui laissez pas penser que ses malheurs, quels qu’ils soient, puissent vous causer de la tristesse, à vous, son dernier espoir et sa dernière consolation. Plutôt que de chercher à rouvrir ses anciennes blessures, laissez-les se cicatriser sous l’influence du temps et de la religion ; et attendez le moment où, sans éprouver une trop vive douleur, votre mère pourra peut-être remonter avec vous le courant du passé.

— Oui, oui ; je vous le promets. Oh ! je sens que j’ai été bien méchante, bien désagréable ! mais ce n’était que par excès de tendresse, croyez-le bien, cher monsieur Aubrey, croyez-le bien !

— Certes, je le crois, ma pauvre Éveline, et maintenant je sais que je puis avoir confiance en vous. Allons, séchez vos beaux yeux, autrement on croirait que vous avez un maître trop sévère, et acheminons-nous vers le cottage. »

Ils traversèrent lentement et en silence l’humble jardin et le cimetière. Et là, à côté du vieil if, ils aperçurent lady Vargrave. Éveline, craignant que les traces de ses larmes ne