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— Ah ! pas autant que je l’aime ; elle est douce et bonne, je le sais, car elle l’est envers tout le monde. Mais elle ne se confie pas à moi ; elle a quelque chagrin dans le cœur qu’elle ne me permet ni de connaître, ni de consoler. Pourquoi éviter toute allusion à sa jeunesse ? Elle ne me parle jamais comme si, elle aussi, elle avait eu une mère ! Pourquoi ne puis-je jamais lui parler de son premier mariage, de mon père ? Pourquoi me regarder d’un air de reproche, et m’éviter, oui ! m’éviter, pendant des journées entières, si… si j’essaie de la ramener au passé ? y a-t-il un secret ? S’il en est ainsi, ne suis-je pas d’âge à le connaître ? »

Les paroles d’Éveline étaient rapides et saccadées, et ses lèvres tremblaient. Aubrey lui prit la main, la pressa, et lui dit, après un moment de silence :

« Éveline, c’est la première fois que vous me parlez ainsi. Est-il arrivé quelque chose qui ait éveillé votre… dirai-je votre curiosité, ou bien la fierté blessée de votre affection ?

— Et vous aussi, vous êtes sévère ; vous me blâmez ! Non, il est vrai, je ne vous ai jamais parlé ainsi, mais depuis bien, bien longtemps, je me suis aperçue que je ne suffis pas au bonheur de ma mère, moi qui l’aime si tendrement ! Et maintenant, depuis que mistress Leslie est ici, je trouve qu’elle converse avec cette dame qui lui est étrangère, avec beaucoup plus de confiance qu’elle ne cause avec moi. Lorsque j’entre par hasard, elles suspendent leur entretien, comme si je n’étais pas digne d’y prendre part. Et… et… ah ! si je pouvais seulement vous faire comprendre que tout ce que je désire, c’est que ma mère m’aime, qu’elle me connaisse, qu’elle ait confiance en moi…

— Éveline, dit le prêtre avec froideur, vous aimez votre mère, et à juste titre ; jamais il n’y eut un cœur meilleur, plus tendre que le sien. Ce qu’elle souhaite le plus au monde, c’est votre bien, votre bonheur. Vous réclamez sa confiance, mais pourquoi ne vous fiez-vous pas à elle ? Pourquoi ne pas croire qu’elle est animée des plus tendres, des meilleurs motifs ? Pourquoi ne pas lui laisser la liberté de vous révéler ou de vous taire le chagrin secret qui la consume, en admettant qu’elle en ait un ? Pourquoi y ajouter en vous livrant à cet excès de sensibilité personnelle ? Ma chère élève, vous n’êtes guère qu’une enfant ; et il n’est pas étonnant que les personnes qui ont souffert hésitent à affliger d’une triste confidence celles à qui la douleur est encore