Page:Bulwer-Lytton - Alice ou les mystères.pdf/227

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rappelle une personne que j’ai connue dans ma jeunesse ; une personne qui ne possédait pas vos avantages d’éducation, d’opulence, de naissance, mais envers qui la nature s’était montrée plus généreuse que la fortune. »

Il s’arrêta un moment, et, sans regarder du côté d’Éveline, il reprit :

« Vous entrez dans la vie sous de brillants auspices. Ah ! permettez-moi d’espérer que le midi de votre existence tiendra les promesses de l’aurore. Vous êtes sensible, vous avez l’imagination vive ; ne vous montrez pas trop exigeante, et ne vous livrez pas trop à vos rêves. Quand vous serez mariée, n’allez pas vous figurer que la vie conjugale soit exempte d’épreuves et de soucis. Si vous vous savez aimée, et vous devez l’être, ne demandez pas à l’esprit actif et inquiet de l’homme tout le bonheur que promet l’imagination, et que la vie réelle donne si rarement. Et si jamais, continua Maltravers avec une véhémence passionnée, qui donnait à son langage une rapidité fiévreuse, si jamais votre cœur se révoltait, si jamais il se sentait mécontent, désenchanté, fuyez le faux sentiment comme vous fuiriez un crime ! Jetée, comme vous le serez forcément, par votre rang, au milieu d’un monde rempli d’écueils, et n’y trouvant pas de guide plus constant ou plus sûr que votre innocence même, que ce monde ne vous devienne pas trop cher. S’il était possible que vous vous trouvassiez jamais seule et triste à votre foyer, réfléchissez que, même lorsqu’elle y serait malheureuse, la femme trouve toujours plus de bonheur chez elle que dans les jouissances du dehors. Combien de femmes j’ai connues, belles et pures comme vous, qui se sont laissé perdre par leurs affections mêmes, par ce qu’il y avait de plus beau et de meilleur en elles ! Écoutez-moi comme un mentor, comme un frère, comme un pilote, qui a navigué sur les mers où votre barque va être lancée. Que je sache toujours, en quelques contrées que votre nom me parvienne, que la femme qui m’a rendu ma foi dans la perfection humaine, a pu rester l’idole de notre sexe, sans cesser d’être la gloire du sien. Pardonnez-moi ce zèle indiscret ; mon cœur était plein, il a débordé. Et maintenant, miss Cameron, Éveline Cameron, voilà ma dernière offense, et mon dernier adieu ! »

Il lui tendit la main ; Éveline involontairement, presque à son insu, s’en saisit comme pour le retenir jusqu’à ce qu’elle trouvât des paroles pour lui répondre. Tout à coup il enten-