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fait une offre de mariage, et j’ai accepté ! Hélas ! hélas ! je voudrais presque pouvoir me rétracter !

— Ma bien chère Caroline ! dit la voix argentine d’Éveline ; pour l’amour du ciel, ne sacrifiez pas ainsi de gaîté de cœur tout votre bonheur ! Vous vous faites injure, Caroline ! oui, vraiment ! Vous n’êtes pas la femme vaine et ambitieuse dont vous affectez les dehors ! Ah ? qu’est-ce donc que vous désirez ? La fortune ? N’êtes-vous pas mon amie ? Ne suis-je pas assez riche pour nous deux ? Le rang ? eh ! que pourra-t-il vous donner qui vous dédommage de l’angoisse d’une union sans amour ? Pardonnez-moi, je vous en prie, de vous parler ainsi ; ne m’accusez pas d’être présomptueuse ou romanesque ; mais, croyez-moi, je juge d’après mon cœur de ce que doit souffrir le vôtre ! »

Caroline émue pressa la main de son amie.

« Vous savez mal me consoler, Éveline. Ma mère, mon père me tiendront un langage tout différent. Je suis certes bien sotte d’éprouver tant de tristesse lorsque j’obtiens précisément ce que je cherchais ! Pauvre Doltimore ! il connaît peu le caractère et les sentiments de celle qu’il croit avoir rendue la plus heureuse des femmes, il ne sait pas… »

Caroline s’arrêta, devint pâle comme une morte, puis continua rapidement :

« Mais vous, Éveline, vous aurez le même sort ; nous serons deux à souffrir ensemble.

— Non, non ! ne le croyez pas ! Lorsque je donnerai ma main, c’est que j’aurai aussi donné mon cœur. »

En ce moment Maltravers se leva et poussa un profond soupir.

« Silence ! » dit Caroline avec effroi. Au même moment les joueurs de whist se levèrent, et Cleveland s’approcha de Maltravers.

« Je suis à vos ordres, dit-il ; je sais que vous ne resterez pas à souper. Vous me retrouverez dans la pièce voisine ; j’ai deux mots à dire à lord Saxingham. »

Le vieux gentilhomme, toujours galant, fit quelques compliments aux jeunes personnes, et s’éloigna.

« Vous aussi, vous quittez la salle de bal ! dit miss Merton à Maltravers, en se levant.

— Je suis un peu souffrant ; mais que je ne vous chasse pas d’ici.

— Oh non ! j’entends la musique ; c’est le dernier quadrille avant le souper, et voilà mon heureux cavalier qui est à ma recherche.