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c’était la dernière fois qu’il la voyait sous le nom de miss Cameron !

Il passa dans une autre pièce, abandonnée de tous, excepté de quatre vieux messieurs, dont Cleveland faisait partie, et qui étaient absorbés par le whist. Il se jeta sur un divan placé dans l’embrasure d’une fenêtre gothique. Là, à demi caché par les draperies, il se mit à méditer et à se raisonner. Son cœur était plein de tristesse ; jusqu’à ce jour il n’avait jamais su de quel amour profond et passionné il aimait Éveline, et à quel point cet amour avait pris possession de son cœur ! N’était-ce pas bien étrange qu’une enfant si jeune, qu’il avait si peu vue, et dans des situations d’un intérêt si paisible et si ordinaire, excitât une passion aussi forte chez un homme qui avait passé par de violentes émotions et de rudes épreuves ! Mais l’amour est toujours inexplicable. L’isolement où vivait Maltravers et l’absence de tout autre stimulant avaient peut-être largement contribué à alimenter sa flamme. Ses affections avaient sommeillé longtemps ; et après le sommeil les passions se réveillent avec une force irrésistible ! Il sentait maintenant trop bien que la dernière rose de la vie s’était épanouie pour lui ; elle était flétrie en naissant, mais rien ne pourrait la remplacer. Désormais il serait véritablement seul ; l’espérance d’un foyer domestique avait fui à jamais ; et les autres intérêts de l’esprit et de l’âme, la littérature, le plaisir, l’ambition, étaient par lui repoussés, à l’âge où la plupart des hommes s’y livrent avec le plus d’ardeur ! Ô jeunesse ! ne commence pas trop tôt ta carrière ; et souviens-toi que les passions doivent se succéder avec ordre les unes aux autres, afin que chaque saison de la vie possède une occupation et un charme qui lui soit appropriés !

Les heures s’écoulaient, et Maltravers ne bougeait pas. Ses méditations n’étaient troublées que par les exclamations fortuites des quatre vieux messieurs, qui, entre chaque partie, moralisaient sur les caprices du jeu.

À la fin il entendit tout près de lui cette voix dont la plus légère intonation faisait refluer tout son sang dans ses veines ; et de sa retraite il put voir Caroline et Éveline assises tout à côté de lui.

« Je vous demande pardon, dit la première à voix basse, je vous demande pardon, Éveline, de vous avoir entraînée à l’écart ; mais j’avais quelque chose sur le cœur qu’il me tardait de vous dire. Le sort en est jeté. Lord Doltimore m’a