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où l’on a échangé de ces paroles qui errent aux alentours du cœur sans y pénétrer. Isolés, sans sympathies, retirés dans cette sagesse plus austère qui vient à la suite des passions véritables, nous voyons les autres poursuivre à l’envi ces papillons brillants, qui ont cessé de nous éblouir, parmi ces fleurs qui ont perdu à tout jamais leur parfum pour nous.

C’est un des spectacles qui nous rappellent le plus vivement que nous ne sommes plus jeunes ! Nous nous y trouvons de si près en contact avec la jeunesse et les plaisirs éphémères qui nous plaisaient jadis, et qui ont désormais perdu pour nous tout leur charme : Heureux l’homme qui peut quitter les plaisirs bruyants du monde avec la pensée qu’un œil vigilant, qu’un cœur aimant l’attend chez lui. Mais ceux qui n’ont pas de famille (et le nombre en est grand !), ne se sentent jamais plus isolés, plus tristes, plus désenchantés qu’au milieu de ces foules joyeuses !

Rêveur et distrait, Maltravers s’appuyait contre la muraille, et quelques réflexions de ce genre occupaient peut-être son esprit, au milieu des plumes qui ondulaient et des diamants qui étincelaient autour de lui. Toujours trop fier pour être vaniteux, le monstrari digito ne l’avait pas flatté, même au début de sa carrière. Et maintenant il n’observait ni les yeux qui cherchaient son regard, ni les chuchotements qui souhaitaient d’être entendus. Riche, bien né, garçon, et jeune encore, Ernest Maltravers, dans la sphère étroite d’une province, eût été par lui-même un point de mire pour la diplomatie des mères et des filles ; l’éclat de sa réputation augmentait nécessairement l’intérêt et élargissait le cercle des curieux et des observateurs.

Tout à coup cependant, un nouvel objet d’attention excita une nouvelle sensation ; de nouveaux murmures traversèrent la foule, et firent sortir Maltravers de sa rêverie. Il leva les yeux, et vit que tous les yeux étaient fixés sur une femme ! Son regard rencontra celui d’Éveline Cameron !

C’était la première fois qu’il voyait cette belle jeune fille dans tout l’éclat et l’importance de son rang, comme héritière de l’opulent Templeton ; la première fois qu’il la voyait fêter par la foule, qui eût admiré sa fortune dans son visage, quand même elle eût été laide. Et lorsque, rayonnante de jeunesse, ses joues charmantes colorées par l’incarnat du plaisir, elle frappa ses regards, il se dit tout bas :

« Aurais-je pu souhaiter qu’une personne pour qui le monde est si nouveau, unît son sort à un homme rassasié,