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étonnement pourquoi cette tristesse était devenue une habitude si permanente, car la jeunesse s’étonne toujours que les personnes qui ont l’expérience de la vie soient tristes.

Éveline traversa le cimetière, et se trouva bientôt sur le vert gazon qui s’étendait devant la vieille et pittoresque maison du pasteur.

Le vieillard travaillait à son jardin ; mais dès qu’il vit Éveline, il jeta là sa bêche, et vint gaîment au-devant d’elle.

On voyait facilement à quel point elle lui était chère.

« Ainsi, vous voilà venue prendre votre leçon de chaque jour, ma jeune élève ?

— Oui ; mais le Tasse peut bien attendre, si…

— Si le précepteur a envie de faire l’école buissonnière ? Non, mon enfant ; et même la leçon d’aujourd’hui sera plus longue que de coutume, car il me faudra, je crains, vous quitter demain pour une absence de quelques jours.

— Nous quitter ! Pourquoi cela ?… Quitter Brook Green !… c’est impossible !

— Ce n’est pas du tout impossible ; car nous avons un nouveau curé, et il faut que je devienne courtisan dans ma vieillesse pour lui demander qu’il me permette de rester auprès de mon troupeau. Il est à Weymouth, et il m’a écrit de venir l’y trouver. Ainsi, miss Éveline, il faut que je vous donne des devoirs de vacances à faire en mon absence. »

Éveline essuya les larmes qui humectaient ses yeux (car lorsque le cœur est plein d’affection, les yeux débordent facilement) et se suspendit tristement au bras du vieillard, donnant un libre cours aux lamentations moitié enfantines, moitié féminines, que lui arrachait la pensée de cette séparation prochaine. Et sa mère aussi, que deviendrait-elle sans lui ? Et pourquoi ne pouvait-il écrire au curé, au lieu d’y aller lui-même ?

Le pasteur, qui était célibataire et n’avait point d’enfants, n’était pas insensible à l’affection de sa belle élève ; peut être fut-il lui-même un peu plus distrait que de coutume ce matin-là, ou bien Éveline, de son côté, se montra-t-elle moins attentive. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’elle profita fort peu de la leçon.

Pourtant c’était un excellent précepteur que ce vieillard. Connaissant les tendances de l’esprit vif, prompt, et un peu fantasque d’Éveline, il avait moins cherché à dompter son imagination, qu’à l’épurer et à l’élever. Doué lui-même de facultés rares, que ses loisirs lui avaient permis de cultiver,