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Éveline. Pauvre enfant ! combien le ton de découragement de cette lettre rappelle peu sa gaîté, l’enjouement qu’elle montrait quand elle était auprès de nous ! Nous avons cru bien faire ; et pourtant nous avons peut-être eu tort de l’abandonner à des étrangers. Et ce Maltravers ! Éveline, par son enthousiasme et sa vive admiration du génie, était déjà à demi préparée à se l’imaginer telle qu’elle le dépeint. Il doit y avoir un charme dans ses ouvrages que je n’y ai point aperçu, car vous-même, par moments, vous paraissez en subir l’influence.

— Parce qu’ils me rappellent la manière dont il parlait, dont il pensait, lui. Si ce Maltravers lui ressemblait sous d’autres rapports, Éveline serait certainement bien heureuse !

— Et si, maintenant que vous êtes libre, il vous arrivait de le rencontrer, lui, demanda le prêtre avec intérêt ; si son souvenir vous était resté fidèle comme lui est resté le vôtre, et s’il vous offrait la seule compensation qui lui soit possible en dédommagement de tout ce que vous a coûté la faute de sa jeunesse, si un pareil hasard se présentait parmi les vicissitudes de la vie, vous… »

Le prêtre s’arrêta soudain, frappé de l’extrême pâleur de lady Vargrave, et du tremblement qui agitait ses membres délicats.

« S’il arrivait une pareille chose, dit-elle à voix très basse ; si nous devions nous revoir, et qu’il fût (ainsi que vous et mistress Leslie semblez le penser) pauvre et d’une naissance obscure ; si ma fortune pouvait lui venir en aide, et que mon amour pût encore, toute changée, toute vieillie que je sois… oh ! ne me parlez pas de cela ! je ne puis supporter la pensée d’un pareil bonheur !… Et pourtant, s’il m’était seulement permis de le revoir avant de mourir ! »

Elle joignit les mains avec ferveur en prononçant ces paroles, et la rougeur qui couvrit son visage y répandit tant d’éclat et de fraîcheur, qu’Éveline même, en ce moment, n’eût guère paru plus jeune.

« Assez ! dit-elle, après un moment de silence, lorsque cet éclat passager se fut évanoui. Ce n’est là qu’une vaine espérance. Tout amour terrestre est enseveli pour moi ; et mon cœur est là-haut ! »

Elle montra le ciel, et tous deux gardèrent le silence.