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service chez mes anciennes maîtresses pour lui échapper, car j’étais enceinte, et ses violences mettaient mes jours en danger. Il mourut subitement, ne laissant que des dettes. Après cela, un monsieur, un homme riche, à qui j’avais rendu service (ne vous méprenez pas, monsieur, si je vous dis que c’est un service dont je me repens), me donna de l’argent ; il m’en donna assez pour que je pusse épouser mon premier amant. William et moi, nous partîmes pour l’Amérique. Grâce à notre petit avoir, nous vécûmes plusieurs années à New-York, dans l’aisance ; et je fus longtemps heureuse, car j’avais toujours tendrement aimé William. Mon premier chagrin fut causé par la mort de l’enfant que j’avais eu de mon premier mari ; mais je ne pus longtemps me livrer à ma douleur. William spécula, comme tout le monde en Amérique, et nous perdîmes tout ce que nous possédions. Il était d’une santé délicate et ne pouvait travailler. À la fin il obtint une place de maître d’hôtel à bord d’un bâtiment qui faisait la traversée de New-York à Liverpool, et on me prit pour servir dans la cabine. Nous voulions venir à Londres, car je pensais que mon ancien bienfaiteur pourrait nous venir en aide, quoiqu’il n’eût jamais répondu aux lettres que je lui avais écrites. Mais mon pauvre William tomba malade en mer, et mourut en vue du port. »

Mistress Elton se mit à pleurer amèrement, mais tranquillement, comme une personne qui s’est familiarisée avec les larmes. Lorsqu’elle se fut remise, elle eut bientôt achevé son humble récit.

Rendue incapable de tout travail par le chagrin et une santé délabrée, elle se trouva seule dans les rues de Liverpool, sans autres moyens d’existence que les dons charitables des passagers et des marins du bâtiment par lequel elle était venue. Grâce à la petite somme qu’elle avait recueillie, elle était allée à Londres, où elle avait appris que son vieux protecteur était mort depuis longtemps, elle n’avait aucun droit à invoquer auprès de sa famille. Lors qu’elle avait quitté l’Angleterre, il lui restait un parent établi dans une ville du nord. Elle s’y rendit, pour voir s’évanouir sa dernière espérance : ce parent était mort aussi. Elle avait dépensé tout son argent, et il lui fallut mendier sur les routes et le long des chemins, ne sachant guère où elle allait, jusqu’au jour de l’accident qui lui avait valu un si généreux ami.

« Et telle est, monsieur, l’histoire de ma vie, dit-elle en