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sentait les influences calmes et pénétrantes de la religion de la nature. À son insu son charmant visage devint plus rêveur, et son pas plus lent. L’éducation est une chose bien complexe ! Que de circonstances qui n’ont aucun rapport avec les livres ou les professeurs, contribuent à la culture de l’esprit humain ! La terre, le ciel et l’océan étaient au nombre des précepteurs d’Éveline Cameron, et, sous la simplicité de sa pensée, la source de la poésie du sentiment était alimentée par les urnes des esprits invisibles.

C’était l’heure où Éveline sentait le plus vivement combien notre vie réelle est imparfaitement représentée par les événements extérieurs ; et combien, dans nos méditations et nos rêves, nous vivons d’une seconde et plus noble existence. Élevée, non moins par l’exemple que par le précepte dans cette croyance qui unit la créature au Créateur, c’était l’heure où sa pensée elle-même avait en quelque sorte la sainteté de la prière. Et c’était l’heure aussi où le cœur, abandonnant des rêves divins pour des visions plus terrestres, évoque et peuple son magique royaume ici-bas. Des deux mondes qui s’étendent au-delà de l’heure présente, celui de l’imagination est peut-être plus saint que celui de la mémoire.

Bientôt, voyant le jour s’avancer, Éveline rentra d’un air plus calme, et vint rejoindre à déjeuner sa mère et mistress Leslie. Puis les petits soins du ménage occupèrent son temps, tout héritière qu’elle fût. Ce devoir accompli, le chapeau de paille et Sultan furent encore une fois mis en réquisition. Elle ouvrit une petite porte, derrière le cottage, et prit un sentier qui longeait le cimetière du village, et conduisait à la maison du vieux pasteur. Le cimetière était entouré de tous côtés par une ceinture d’arbres. À part la petite église noircie par le temps, les toits du cottage, et la maison du prêtre, on n’apercevait nulle autre habitation, pas même une chaumière. Sous l’ombrage d’un if, isolé au milieu de l’enclos, se trouvait un banc rustique ; vis-à-vis de ce siége on voyait une tombe, qui se distinguait des autres par une légère palissade. Au moment où la jeune Éveline passait lentement à côté de ce tombeau, elle aperçut un gant parmi les longues herbes humides qui croissaient au pied de l’if. Elle le ramassa et poussa un soupir ; ce gant appartenait à lady Vargrave. Elle soupira, car elle songeait à la mélancolie répandue sur la figure de sa mère, que ne pouvaient dissiper ni ses caresses ni sa gaîté. Elle se demandait avec