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— Qu’importe ?… plus que je ne puis payer.

— Si la vie est un dépôt qui nous est confié, il en est de même des richesses. Vous avez votre vie à conserver pour d’autres, moi j’ai peut-être les richesses en dépôt. Combien devez-vous ? »

Legard tressaillit. Il y eut en lui une lutte violente entre la honte et l’espérance.

« Si je pouvais emprunter cette somme, je la rembourserais plus tard… je sais que je le pourrai ; autrement je n’admettrais pas la pensée d’un emprunt.

— Fort bien, qu’il en soit ainsi. Je vous prêterai cet argent à une condition. Jurez-moi solennellement, sur votre honneur de gentilhomme et de soldat, que d’ici à dix ans, dussiez-vous même devenir riche, et en état de ruiner les autres, vous ne toucherez ni cartes, ni dés ; jurez-moi que vous éviterez toujours le jeu comme moyen de vous enrichir, sous quelque déguisement ou sous quelque nom qu’il se cache. J’accepterai votre parole comme garantie. »

Legard, ivre de joie, et croyant presque rêver, donna sa parole.

« Dormez donc tranquille cette nuit, plein d’espoir et de confiance pour demain, dit l’Anglais. Que cette circonstance vous soit une preuve que tant qu’on a l’avenir devant soi, on ne doit pas se désespérer. Un mot encore : je ne veux pas de remerciements ; il est facile de se montrer généreux aux dépens de la justice. Peut-être le suis-je en ce moment. Cette somme qui doit vous sauver la vie, une vie dont vous faites si peu de cas, aurait pu faire le bonheur de cinquante êtres humains, meilleurs peut-être que vous et moi. Ce qui est donné pour réparer une faute est peut-être un tort fait à la vertu. Quand vous serez sur le point de demander à d’autres de fournir aux exigences d’une vie de dissipation aveugle et égoïste, arrêtez-vous, et songez aux lèvres sans pain que cet or gaspillé aurait nourries ! aux cœurs sans joie que cet or aurait consolés ! Vous parlez de me rembourser : si l’occasion s’en présente, faites-le ; mais si nous ne sommes pas destinés à nous revoir jamais, et que vous en ayez les moyens, donnez pour moi cette somme aux pauvres ! Et maintenant, adieu !

— Arrêtez ! dites-moi le nom de mon sauveur ! Le mien est…

— Silence ! Qu’importe un nom ? C’est un sacrifice que nous faisons tous deux à l’honneur. Vous recouvrerez d’au-