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sachant que la place de garde-magasin de l’artillerie sera vacante d’ici à deux ou trois jours grâce à la promotion de M. ***, j’ai écrit qu’on refusât de la donner à d’autres. Maintenant je vous offre cette place, et j’espère avant longtemps pouvoir vous procurer également un siège au parlement. Mais il faut que vous alliez à Londres immédiatement. »

Une semaine auparavant cette place aurait comblé la plus haute ambition de Legard ; à présent il hésitait.

« Mon cher lord, dit-il, je ne puis vous exprimer à quel point je vous suis reconnaissant de votre bonté ; mais… mais…

— Il suffit, pas de remercîments, mon cher Legard. Pouvez-vous partir demain pour Londres ?

— Vraiment, je crains que cela soit impossible, dit Legard ; il faut que je consulte mon oncle.

— Je puis vous répondre de son consentement ; je l’ai sondé avant d’écrire. Voyons, réfléchissez ! Vous n’êtes pas riche, mon cher Legard ; c’est une excellente occasion qui se présente à vous. Et puis, plus tard, un siège au parlement ! Quelle raison d’hésiter pouvez-vous donc avoir ? »

Il y avait dans le ton dont cette question lui était faite quelque chose de significatif et d’inquisitorial, qui fit monter le rouge au visage du colonel. Il ne savait trop que répondre ; et il commençait, de son côté aussi, à penser qu’il aurait tort de refuser cette place. Son oncle d’ailleurs dont il dépendait, consentirait-il à un pareil refus ? Lord Vargrave vit cette irrésolution, et poursuivit son succès. Il passa dix minutes à combattre tous les scrupules, toutes les objections de Legard ; il lui présenta tous les avantages réels ou fictifs qu’offrait la place en question sous leurs aspects les plus favorables. Il s’efforça de flatter Legard, de l’enjôler, de le persuader, de l’importuner, jusqu’à ce qu’il acceptât ; et il finit par réussir en partie. Le colonel demanda trois jours pour réfléchir ; Vargrave les lui accorda à contre-cœur ; et Legard remonta dans la voiture de son oncle de l’air d’un martyr bien plus que d’un débutant fonctionnaire.

« Ah ! ah ! se dit en riant tout bas Vargrave qui était allé faire un tour de jardin : ah ! ah ! me voilà débarrassé de ce beau mirliflor ; maintenant je vais avoir Éveline à moi tout seul !