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— C’est encore un de ses livres que vous lisez en ce moment, dit Éveline jetant les yeux vers le livre ouvert sur la table. Ah ! c’est cet admirable passage sur « nos premières impressions. » C’est égal, chère mère, je n’aime pas à vous voir lire ses ouvrages ; il me semble qu’ils vous attristent toujours.

— Il y a pour moi dans les pensées qui s’y trouvent, dans la manière dont ces pensées sont exprimées, un certain charme qui me fait rêver, dit lady Vargrave, et qui me rappelle un… un ami de ma jeunesse, à ce point qu’en lisant, il me semble l’entendre parler. J’ai éprouvé cela dès la première fois que j’ouvris par hasard un de ses ouvrages, il y a bien des années.

— Quel est donc cet auteur qui vous plaît tant ? demanda mistress Leslie, un peu étonnée, car lady Vargrave éprouvait d’habitude peu de plaisir à lire même les plus grands et les plus célèbres chefs-d’œuvre du génie moderne.

— C’est Maltravers, répondit Éveline ; et je crois que je partage, à peu de chose près, l’enthousiasme de ma mère.

— Maltravers ! répéta mistress Leslie. C’est peut-être une lecture dangereuse pour une personne aussi jeune que vous. À votre âge, chère enfant, vous avez tout naturellement assez de sentiment et d’idées romanesques sans aller leur chercher des auxiliaires dans les livres.

— Mais, chère madame, dit Éveline, embrassant avec chaleur la défense de son auteur favori, dans ses écrits il y a autre chose que du sentiment et des idées romanesques ; ils ne sont pas exagérés ; ils sont très-simples, très-vrais.

— Vous êtes-vous jamais rencontrée avec lui, madame ? demanda lady Vargrave.

— Oui, répondit mistress Leslie, une fois ; c’était alors un jeune garçon blond et joyeux. Son père habitait le comté voisin, et nous nous sommes trouvés ensemble dans une maison de campagne. M. Maltravers lui-même possède une terre près de celle de ma fille dans le comté de ***, mais il n’y demeure pas ; depuis quelques années il est à l’étranger. C’est un singulier homme !

— Pourquoi n’écrit-il plus ? dit Éveline ; j’ai tant de fois lu ses ouvrages, je sais si bien ses poésies par cœur, que je regarderais comme un véritable évènement l’apparition d’un nouvel ouvrage de lui.

— J’ai entendu dire, ma chère, qu’il avait presque entièrement renoncé au monde et aux ambitions du monde, et