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mais glorieuse où la vérité trouve des vengeurs et l’humanité des bienfaiteurs.

Cette entrevue n’amena pas le retour d’intimité que paraissait souhaiter Vargrave, et lorsqu’il prit congé, Maltravers en éprouva un véritable soulagement.

Lumley, qui comptait aller rendre visite à lord Doltimore, avait emprunté le Stanhope de M. Merton, parce que c’était un meilleur véhicule pour parcourir rapidement les chemins de traverse qui conduisaient à la maison de l’amiral Legard que tout autre équipage plus fastueux. Lorsqu’il s’y assit à côté de son domestique, il dit en riant :

« Je me figure presque être encore ce méchant gamin de Lumley quand je me trouve dans ce petit bateau monté sur deux roues. Ce n’est pas majestueux, mais ça va vite, hein ? »

Le visage de Lumley, pendant qu’il parlait, respirait tant de franche gaîté, ses manières avaient tant de simplicité, que Maltravers avait de la peine à croire que ce fût là le même homme qui, cinq minutes auparavant, exprimait des sentiments dignes de l’intrigant le plus consommé qu’eussent jamais produit les serres-chaudes de l’ambition.

Aussitôt que Lumley fut parti, Maltravers quitta Cleveland qui avait des lettres à écrire (Cleveland était un correspondant exemplaire et intarissable) ; et, accompagné de ses chiens, il s’achemina vers le village. L’effet que produisait la présence de Maltravers au milieu de ses paysans ne manquait jamais de reposer et de calmer ses pensées amères et agitées. Les villageois s’étaient bientôt aperçus (car les pauvres ne s’y trompent guères) de son esprit de justice, qualité plus belle que tant d’autres qui sont revêtues de dehors plus aimables. Ils sentaient que le but de Maltravers était de les rendre meilleurs et plus heureux ; et ils avaient appris par expérience que les moyens dont il se servait étaient propres, en général, à lui faire atteindre ce but. D’ailleurs, s’il se montrait parfois sévère, il n’était jamais ni capricieux, ni exigeant ; et puis il écoutait tout le monde avec patience, et donnait d excellents conseils. Il inspirait une certaine frayeur, mais cette frayeur ne servait qu’à rendre ses paysans plus laborieux et plus rangés ; à stimuler les paresseux, à réformer les ivrognes. Maltravers était partisan du système des petites propriétés ; non pas assurément comme panacée universelle, mais comme stimulant au travail et à l’indépendance. Il récompensait de préférence