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comme vous l’êtes, que c’est votre amour qui nous aurait condamnés, moi, vous, nos enfants, à ce sort misérable ! Impossible, Caroline ! Nous avons trop de sagesse tous deux pour admettre des idées aussi romanesques. Ce n’est pas parce que nous aimons trop peu, c’est parce que dans notre amour nous sommes dignes l’un de l’autre que nous dédaignons de faire de l’amour une malédiction ! Nous ne sommes pas de force à lutter contre le monde, mais nous pouvons lui donner la main, et persuader à cet avare de nous livrer ses trésors. Mon cœur vous appartiendra toujours ; ma main doit appartenir à miss Cameron. Il me faut de l’argent ! toute ma carrière en dépend. C’est positivement pour moi l’alternative du voleur de grand chemin : la bourse ou la vie. »

Vargrave s’arrêta, et prit la main de Caroline.

« Je ne puis discuter avec vous, dit-elle ; vous connaissez l’étrange empire que vous avez obtenu sur moi, et certainement, malgré ce qui s’est passé (ici Caroline pâlit), je saurai tout souffrir plutôt que d’être exposée à ce que vous me reprochiez un jour d’avoir par égoïsme compromis vos intérêts, votre juste ambition.

— Ma noble amie ! Je ne vous dirai pas que je vous verrai épouser un autre homme sans éprouver une vive douleur ; mais je serai consolé par la pensée que j’aurai contribué à vous faire obtenir une position plus digne de votre mérite que celle que je pourrais vous offrir. Lord Doltimore est riche : vous lui enseignerez le bon usage des richesses ; il est faible : vous le gouvernerez par votre intelligence ; il vous aime : votre beauté suffira à vous conserver son amour. Ah ! nous resterons éternellement de tendres amis, vous et moi !

Ce misérable fourbe continua longtemps de parler ainsi à Caroline. Tantôt il l’apaisait, tantôt il l’irritait ; tantôt il la flattait, tantôt il l’indignait. Elle l’aimait, à n’en pouvoir douter, autant qu’elle était capable d’aimer. Mais peut-être étaient-ce le rang, la réputation de Vargrave qui avaient gagné son cœur ; et, ne connaissant pas l’embarras de ses affaires, peut-être avait-elle conçu l’espérance ambitieuse, que, dans le cas où Éveline refuserait la main de lord Vargrave, il la lui offrirait à elle-même. Sous cette impression, elle avait cherché à le charmer, elle avait fait la coquette, elle avait joué avec le serpent, et le serpent avait fini par la fasciner et l’enlacer de ses replis. Elle avait dit vrai ; elle était capable de faire de grands sacrifices pour lord Var-