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féré rester ici, et je suis convaincue que Sophie ne se trouverait pas bien sans moi. N’est-ce pas, chérie ?

— Oh si !… oh si ! je ne veux pas vous priver de voir les jolies courses ; cela me rendrait bien plus malade.

— Mais, Sophie, je ne tiens pas aux jolies courses, moi, comme votre sœur Caroline. Il faut absolument que Caroline y aille ; on ne saurait se passer d’elle. Mais moi, on ne me connaît pas, et l’on ne s’apercevra guère de mon absence.

— Je ne veux pas entendre parler de cela, » dit mistress Merton, les larmes aux yeux. Éveline se tut pour le moment. Mais le lendemain matin Sophie allait beaucoup plus mal, et sa mère était trop inquiète et trop triste pour songer davantage à l’étiquette ou à la politesse, de sorte qu’Éveline resta.

Elle éprouva un regret passager quand la chose fut tout à fait décidée. Elle étouffa un soupir. Ne manquait-elle pas l’unique occasion de voir Maltravers qui se présenterait peut-être de longtemps ? Elle avait attendu cette éventualité avec intérêt, et avec un sentiment de plaisir mêlé de crainte ; l’occasion était perdue ; mais pourquoi s’en inquiéterait-elle ? Que lui faisait Maltravers ?

Le cœur de Caroline lui adressa des reproches, lors qu’elle entra dans la chambre de Sophie avec son chapeau lilas et sa robe neuve. La petite fille tourna vers elle des yeux qui, malgré leur langueur, exprimaient pourtant le plaisir qu’éprouve une enfant à la vue de beaux atours, et s’écria :

« Que vous êtes donc belle, Caroline ! Je vous en supplie, emmenez Éveline avec vous ; Éveline sera si belle aussi ! »

Caroline embrassa silencieusement l’enfant, et s’arrêta indécise. Elle regardait alternativement sa robe, puis Éveline qui lui souriait sans la moindre arrière-pensée d’envie, et elle était presque tentée de rester aussi au presbytère, quand sa mère entra tenant une lettre de lord Vargrave. Elle était courte : il devait se trouver aux Courses de Knaresdean ; il espérait y rencontrer ces dames et les accompagner à leur retour. Cette nouvelle redécida Caroline, et consola Éveline. Quelques minutes plus tard mistress Hare arriva ; Caroline, heureuse de se dérober peut-être au cri de sa conscience, s’empressa de monter en voiture, et dit précipitamment :

« Dieu vous bénisse tous ! Ne vous tourmentez pas ; je suis sûre qu’elle ira bien demain ! et prenez garde, Éveline, de ne pas attraper la fièvre. »