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Il trouva le banquier dans son sanctuaire particulier. Sa voiture était à sa porte, car il était quatre heures précises, et c’était l’heure à laquelle M. Douce partait tous les jours pour Caserta, ainsi qu’il avait nommé, avec une certaine prétention, la villa en question.

M. Douce était un petit homme d’une timidité nerveuse. Il semblait n’être pas tout à fait maître de ses membres. Quand il vous saluait, on eût dit qu’il vous faisait cadeau de ses jambes ; quand il s’asseyait, il se tortillait tantôt d’un côté, tantôt d’un autre ; il fourrait soudain ses mains dans ses poches, puis il les retirait et les regardait d’un air d’étonnement, après quoi il saisissait une plume qui leur fournissait heureusement une occupation incessante. Il avait ce qu’on peut appeler en toute justice une grande mobilité de physionomie ; il souriait d’abord, puis il prenait un air grave ; tantôt il relevait les sourcils, jusqu’à ce qu’ils apparussent comme des arcs-en-ciel à l’horizon de ses cheveux jaune pâle, tantôt il les rabattait comme une avalanche sur ses petits yeux bleus, clignotants, inquiets, incertains, qui devenaient alors invisibles. M. Douce avait en somme toutes les apparences d’un homme d’une timidité pénible, ce qui était d’autant plus étrange qu’il avait la réputation d’être entreprenant, même jusqu’à l’audace, dans les affaires de sa profession, et qu’il aimait la société des grands.

« Je suis venu vous voir, mon cher monsieur, dit lord Vargrave, après les salutations préliminaires, pour vous demander un petit service, mais si la chose vous gêne le moins du monde, n’hésitez pas à me la refuser. Vous savez ma position vis-à-vis de ma pupille, miss Cameron ; dans quelques mois j’espère qu’elle sera lady Vargrave. »

M. Douce laissa apercevoir trois petites dents, les seules que le destin lui eût laissées sur le devant de la bouche ; puis, comme s’il était choqué de l’inconvenance d’un sourire en pareille circonstance, il recula sa chaise, et remonta brusquement son pantalon couleur de papier brouillard.

« Oui, dans quelques mois j’espère qu’elle sera lady Vargrave, et vous savez qu’alors je ne manquerai pas d’argent, monsieur Douce.

— J’espère… c’est-à-dire, je suis convaincu… que… je pense que ce ne sera jamais la si… si… situation de mylord, dit M. Douce avec une timide hésitation. En sus de ses autres qualités, M. Douce bégayait.

— Vous êtes bien bon, mais c’est précisément ma situa-