Page:Bulwer-Lytton - Alice ou les mystères.pdf/105

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

renvoie parce que vous êtes un fripon, ceci est hors de doute : vous avez volé votre maître, et cependant vous avez pressuré ses fermiers, et délaissé les indigents. Mes villages sont pleins de mendiants ; les revenus de mes biens-fonds sont diminués des trois quarts ; et pourtant, tandis que d’une part quelques-uns de mes fermiers ne me semblent payer qu’un loyer fictif (vous savez mieux que moi pourquoi) d’autres sont accablés d’un loyer plus lourd que n’importe quel fermier du comté. Vous êtes un fripon, monsieur Justis ; vos livres de compte seuls le prouvent ; et si je les envoie à un homme de loi, vous aurez à me rembourser une somme que je pourrai consacrer avantageusement à réparer vos maladresses.

— J’espère, monsieur, dit le régisseur accablé et consterné, j’espère que vous voudrez bien ne pas me perdre ; si j’étais forcé de rembourser, véritablement, je vous le jure, il me faudrait aller en prison.

— Rassurez-vous, monsieur. Il est juste que je souffre aussi bien que vous. En négligeant mes devoirs, je vous ai exposé à la tentation de me voler. Vous étiez honnête sous l’œil vigilant de M. Cleveland. Retirez-vous avec vos gains : si vous êtes complétement endurci, nul châtiment ne peut vous toucher ; si vous ne l’êtes pas, c’est un châtiment suffisant que d’être là devant moi, avec vos cheveux blancs, et un pied dans la tombe, à vous entendre traiter de fripon, sachant que vous ne pouvez vous justifier. Partez ! »

Maltravers se plongea alors dans toutes les affaires qu’un domaine mal régi lui avait léguées. Il se débarrassa de quelques-uns de ses fermiers, avec d’autres, il fit de nouveaux arrangements ; il entreprit des travaux de toutes sortes qui mirent un grand nombre de bras en réquisition ; il consacra une attention minutieuse aux indigents ; mais il ne pratiquait pas cette charité indifférente, générale et sans force, par laquelle la popularité s’obtient si facilement, et par laquelle la dignité des pauvres est si souvent avilie ; non, son premier soin était de stimuler l’amour du travail, et de faire renaître l’espoir chez les malheureux. Dans cette ambition et cette émulation, qu’il se refusait vainement à lui-même, il trouva ses plus utiles leviers auprès des humbles ouvriers dont il avait étudié les caractères, et chez lesquels il cherchait à éveiller le désir d’élever, par eux-mêmes, leur condition. À son insu, sa pratique commença à réfuter victorieusement ses théories. Le vice des anciennes lois relatives aux