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un voyage

tant il faut un musée. Les œuvres des vieux peintres, il n’en est guère à vendre, ou bien elles coûtent des prix redoutables. Que choisir ? Des choses qui occupent vivement l’attention, des choses dignes d’intérêt — puisqu’on les discute — des choses qui exigent une rare pénétration pour se laisser comprendre, et qui, en somme, par leur effort vers le nouveau, représentent les préoccupations d’une époque où il est honteux de piétiner. En outre, ces tableaux que les Français — en retard comme on sait sur tous les points ! — n’osent acheter, eux, les Allemands que le doute philosophique ne trouble pas en ce qui concerne leur propre jugement, ils vont les prendre à la bonne minute. Et plus tard — malins ! — ils se trouveront avoir fait une affaire d’or.

L’Américain, dès qu’il possède quelques millions de rente, veut avoir sa galerie. Les Allemands veulent créer des musées partout et vite. Les uns et les autres témoignent ainsi d’un noble appétit de parvenus qui, à défaut de connaissances et de goût personnel, ont le sens des valeurs. Mais ils ne poursuivent pas le même objet. Pour l’Américain, la galerie est le signe représentatif de la richesse. Pour l’Allemand, le musée est le signe de la culture. Et puis la manière encore n’est pas la même. L’Américain se sachant incapable de reconnaître une beauté sans étiquette demande le chef-d’œuvre classé, connu, authentiqué. L’Allemand n’a pas une telle modestie. Il croit qu’il ne peut se tromper, ou sur presque rien, et son courage n’a pas de limites. Il achète de folles choses,