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harlem

Quels seraient cette tête grave dans l’éclat de rire, ce masque placide dans la colère, ce moqueur dans l’immobilité du sommeil ou de la mort, tout cela, nous le devinons. Et ce n’est pas seulement aux têtes, aux mains — ses mains ! — aux corps qu’il a donné cette vie « d’avant » et « d’après », c’est au moindre objet, au moindre bout d’étoffe. Dans le musée d’Amsterdam, il y a un tableau qu’il peignit en collaboration avec Coode. De loin, on aperçoit deux écharpes. Nul besoin d’approcher pour savoir où toucha le magicien ! L’une des écharpes bien faite, soignée, immobile, l’autre fouettée de touches rapides et sans reprises, remuante, prête à faire d’autres plis, argentée, scintillante, « claire et joyeuse ainsi qu’une fanfare dans le matin éblouissant », c’est comme si le grand Hals, du fond de la salle, criait joyeusement son nom !

Le plus beau des tableaux de Harlem, ce pourrait bien être le dernier qu’il fit, je crois : les Régentes. Terribles sorcières d’une laideur triste aux visages creusés et recreusés avec l’effort féroce et anxieux d’atteindre une vérité toujours plus profonde. Devant ce tableau, je me suis souvenu d’un autre où en pleine jeunesse il s’est représenté avec sa femme dans un jardin. Tous deux sont fort bien vêtus et nonchalamment assis. Il a voulu donner l’idée du luxe, du repos, et puis encore, ce rude buveur, ce bon compagnon a voulu peindre sa gaieté insoucieuse aux heures de loisir. La bouche rit, mais non les yeux ! Ses yeux, il les voyait dans la glace – car je vous le jure, cette tête-là ne fut pas