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la haye

lignes obscurcis par les grands arbres se rencontrent noblement. Le soir est tout déchiré de lames d’or. Les promeneurs sont rares. En voici deux pourtant, — des Français. Le monsieur a l’air actif, agité même ; ses jambes entortillées de bandes, ses lourdes chaussures indiquent qu’il s’est organisé pour les ascensions. Il lit son Bædeker, puis regarde au loin, préoccupé. Il cherche une montagne à gravir peut-être. La dame avance d’une allure lasse. Elle a trop marché, j’imagine, et prend cette mine pincée que l’on voit vers la fin du jour, aux voyageuses que leurs bottines serrent. Elle jette un regard malveillant sur le canal tout couvert d’admirables lentilles dont le vert vif enrichit les ombres transparentes, toutes percées de rayons rouges. Et je l’entends dire avec un mépris sans limites : « Elle est joliment dégoûtante, leur eau ! »

Cette dame lasse ne trouve pas, je le crains, que La Haye soit un lieu où le temps, les hommes, et je ne sais quelle force indiscernable, ont donné à toutes choses un calme si harmonieux, tant de luxe secret, qu’on l’imagine faite seulement pour le loisir des rois…

Dans la douce ville on ne se sent jamais isolé. L’habitant communique avec vous. L’intérieur et la rue fraternisent. Presque à chaque fenêtre des natures mortes sont arrangées. C’est une masse de potiches, de statuettes, de bouquets. Les statuettes tournées vers l’extérieur, les bouquets placés en avant