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s’obstinait dans sa fâcherie, cela agaçait Théodoric : alors, il dit qu’on pouvait égorger Symmaque. Et on l’égorgea.

Seulement, loin qu’elles lui rendissent la paix morale, ces exécutions aggravèrent beaucoup la névrose du souverain. Son humeur parut si difficile, sa complaisance pour ses compatriotes si menaçante, que Cassiodore se découvrit quelque rhumatisme auquel le climat de Ravenne ne convenait décidément plus. Il demanda son congé, l’obtint, et s’en fut copier des manuscrits antiques dans un coin où on ne risquait pas qu’une corde trop serrée vous fît sauter les yeux du visage.

Et Théodoric ne fut pas plus gai. Au contraire.

Un soir, à dîner, on lui présenta un poisson magnifique. L’ayant regardé, il resta soudain immobile et comme frappé d’une atroce épouvante. Au lieu de la placide figure du poisson, il croyait voir sur le plat la tête de Symmaque ; et Symmaque fixait sur lui un affreux regard. Ce spectacle inattendu donna un si grand choc au pauvre Théodoric qu’il en mourut bientôt et dans une grande confusion d’esprit.

L’histoire de ce poisson vindicatif est une légende probablement. Une légende chargée de sens. Elle ne montre pas seulement l’action destructive du remords, mais le retour du barbare vers son origine. Cruauté, crédulité, peur, n’est-ce pas tout le fond primitif de l’homme ?…