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un voyage

caisses, on s’interpelle, on s’agite, on crie. La voiture avance un peu, et l’immobilité se rétablit, le bruit meurt : de nouveau le temps s’arrête.

J’arrive à la porte d’un jardin verdâtre et mélancolique. Au fond, une rotonde blanche qui fait penser à quelque pavillon de chasse du xviiie siècle : le tombeau de Théodoric.

C’était une tour trapue aux sobres lignes majestueuses. Mais le lourd monument s’est enfoncé de telle sorte que l’équilibre des proportions est détruit. De près on mesure sa hauteur réelle car une fosse est creusée tout autour qui dégage la base. Cependant, de nulle part on ne le voit dans son ensemble. Il n’est plus sur la terre où nous sommes. Il ne veut plus se révéler à nous.

On a jeté au vent les cendres de Théodoric l’Arien, on a fait une chapelle de sa tombe, et la tombe violée s’est revêtue d’un secret indéchiffrable. Monument de mort et d’orgueil, elle se masque de grâce. Nous l’admirons : — ce n’est pas elle.

Des roses en buissons poussent dans le jardin, et ces longues branches fleuries, odorantes, s’adaptent à l’énigme et la complètent.

Au Forum romain, près de la basilique dont le peuple arracha les meubles pour construire le bûcher de César on retrouve César, on retrouve Charlemagne à Aix-la-Chapelle. Théodoric n’est pas à Ravenne.

Cet homme qu’on cherche inutilement dans la ville où il tint une place si singulière, est le type le plus complet de ces parvenus qui, d’abord cam-