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vérone

Au flanc de l’église, écrasant de sa fierté la porte, Can Grande della Scala se tient : guerrier insigne, et qui eut la gloire — plus durable qu’il ne savait — de donner asile à Dante proscrit. Can Grande fut généreux au poète, qui en rendit témoignage avec une reconnaissance, mêlée toutefois de quelque rancœur : « Combien est âcre le pain d’autrui ! Que c’est un dur chemin de monter et descendre l’escalier des autres ! » — Quoi qu’ils fassent, les tyrans ne sont pas de vrais amis pour les poètes.

Des reflets errants glissent sur la statue qu’ils dégagent à peine du mur noir. L’homme, planté droit sur son cheval, tourne la tête, regarde : tranquille, pesant, terrible. Le cheval aussi tourne la tête et regarde au travers des deux trous de la housse qui le couvre tout entier. Cette lourde étoffe tourmentée par le vent paraît un suaire, et ce cheval, un spectre. L’homme et la bête sont mal discernables dans la nuit et, mêlés ainsi aux ténèbres, ils font peur.

Plus loin, Mastino della Scala au faîte de son monument, et à cheval, lui aussi. Mais le cheval n’est plus cette redoutable créature attentive. Il courbe un peu la tête comme las, et résigné à cette station qui dure depuis six cents ans, et qui durera…

Je distingue seulement des masses simplifiées par la nuit. Pourtant, je les connais si bien tous ces gens que je les vois et mieux qu’en plein jour. Dans ce silence, cette solitude sous ces lueurs équivoques ils sont plus réels, les dangereux personnages qui,