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un voyage


moins émouvant que le violet funèbre et délicat des crêpes, où se convulsent les dragons d’or. Ce jaune, c’est l’Inde éblouie de soleil ; ces blancs ont le mystère des jades somnolents…

D’où vient aux couleurs de Hollande cette éloquence ? De la brume, de l’eau, des formes habituelles aux nuages ? Qu’importe ! Elles sont maîtresses de nos joies, les commandent, et mettent en nous l’âme des anciens aventuriers, qui partaient à la conquête des gemmes, des étoffes, des parfums, des graines et des feuilles où dort l’esprit de vie. Laissant immobile et paresseux, le corps qu’elle oublie, portée par les couleurs magiciennes, elle s’en va, l’âme aventureuse, autour du monde.

Il est une de ces couleurs pourtant qui, au lieu d’entraîner vers les climats ardents, vous ramène et vous fixe despotiquement au pays des brumes soyeuses et des rayons ambrés : c’est le bleu.

Chaque fois, en Hollande, que le regard rencontre du bleu on éprouve un plaisir substantiel, et analogue à celui d’arriver où on allait, de trouver ce qu’on cherchait, de réussir, de comprendre. Peu à peu on se rappelle que, dans les occasions où on a cru mieux sentir l’intimité du pays, saisir les motifs de bonheur qu’ont ses habitants, il y avait là du bleu sur quelque objet. Ailleurs, c’est un ton froid, hostile, perfide qui excelle à désorganiser les tons voisins. Pas en Hollande ! Lorsqu’on a reconnu enfin sa puissance, au souvenir des maisons bleues, des arbres peints en bleu et des faïences si démonstratives, le souvenir des tableaux s’ajoute. Et on