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ratisbonne

gigantesques, et si parfaitement seul avec ce passé.

À l’intérieur, j’éprouve un plaisir étrange fait de sensations antagonistes. On est bien clos dans cette église, elle vous enveloppe, vous tient ; pourtant l’air qu’on y respire a une force libre, et la même puissance que l’air vif des cimes. Quelles mystérieuses concordances de proportions créent ce grave bonheur physique et spirituel, je l’ignore ; mais il est d’une intensité singulière. J’avance lentement, de plus en plus surmontée par la magie de cette architecture. Comment dire la nature de mon émotion ?… Parfois, en regardant un dessin de Michel-Ange, où l’ossature humaine, les tendons brusques et forts sont accusés avec une sorte de colère, j’ai senti quelque chose d’assez pareil : un besoin d’héroïsme, une violence enivrante, et une paix souveraine. Le trait dominateur de Michel-Ange réveille au fond de nous des énergies, et les incite. La cathédrale de Ratisbonne attaque l’esprit de la même manière. Ce n’est pas un lieu pour prier rêveusement, mais pour se résoudre à l’action. Il semble que la vie dangereuse et magnifique vous offre soudain toutes ses possibilités, il semble qu’on va les saisir.

Dehors, une tempête qui depuis le matin s’est rapprochée de la ville, grossit et gronde. Un vent furieux enveloppe le grand vaisseau, d’un bruit sourd de mer. Parfois c’est un mugissement, puis un soupir, puis ce n’est plus rien. Et les minutes où le silence retombe sont pleines d’une bizarre anxiété. Cet ouragan domine tous les autres sons.