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moritzbourg

Ils mangent ! Les petits sangliers fuient devant les gros avec des cris suraigus. Les gros d’un froncement comique de leur nez sale ramassent avidement les faînes. Ils grognent sur un ton de basse-taille, comme s’ils se plaignaient d’une injustice qui jamais ne s’interrompt, et gardent un air profondément vexé. Les sangliers ont toujours cet air-là, on ne leur trouve ni sérénité, ni détachement. Repus, ils s’endorment et grognent en rêve.

Les cerfs, infiniment plus nobles dans leurs manières, mangent sans hâte, s’interrompent souvent pour regarder on ne sait quoi, écouter des bruits lointains, prendre de belles attitudes parfaitement inutiles. Pour un cerf, manger ce n’est pas la seule affaire, il s’agit encore d’être beau, et de s’intéresser au paysage. Ce sont des artistes, des seigneurs, ils ont de la distinction et, je l’espère de tout mon cœur, quelque mépris pour l’homme. Je croirais assez que les sangliers ne sont que des corps ; pour les cerfs, comment ne pas admettre qu’ils aient une âme pleine de rêveries mélancoliques et délicates ?

Après avoir quitté les jolies bêtes, je m’attarde aux bords solitaires de l’étang, où la masse du château se reflète parmi les nénufars, les grands roseaux, et de belles plaques de ciel. Puis je vais goûter dans une restauration toute proche.

Il y a beaucoup de monde. Des gens simples que contentent les rudes tables de bois, les tasses et les verres épais qui rendent un son mat lorsqu’on les repose. Toutes ces personnes semblent ravies d’aise