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potsdam

voir le cercueil du grand Frédéric. On le lui montra et il dit : « Si celui-là vivait, je ne serais pas ici. »

Comme elle achève, un souvenir me revient… Après Rosbach, Frédéric voulut marquer sa persistante sympathie pour la France. Il fit recueillir nos blessés, ordonna que l’on en prît soin, invita à sa table les officiers français. Et voici par quelle parole il les accueillit : « Excusez-moi, messieurs, je ne vous attendais pas si tôt, et en si grand nombre. » Cette âcre et lâche insolence, c’est la bonté, la chevalerie du grand Frédéric.

Je ne sais si Napoléon vainqueur lui a véritablement rendu cet hommage, ou si la vieille gardienne raconte une légende, en tout cas vraisemblable. Mais je suis bien sûre qu’à la place de Napoléon, au lieu de la parole respectueuse Frédéric eût trouvé quelque outrageante plaisanterie. C’est qu’il avait beau rimer en français, les grâces et la chaleur latines n’avaient pas pénétré l’âme de ce Prussien à sang froid.