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un voyage

conduire hors du royaume caché dans une voiture de foin. Il en a assez et bien plus qu’assez du roi si amoureux de l’intelligence et qui promettait d’oublier qu’il était roi. Un peu avant la fin de la comédie, il écrivait : « Tout ce que j’ai vu est-il possible ? Se plaire à mettre mal ensemble ceux qui vivent ensemble avec lui. Dire à un homme les choses les plus tendres, et écrire contre lui des brochures, et quelles brochures ! Arracher un homme à sa patrie par les promesses les plus sacrées, et le maltraiter avec la malice la plus noire ! Que de contradictions ! Et c’est là l’homme qui m’écrivait tant de choses philosophiques, et que j’ai cru un philosophe, et que j’ai appelé le Salomon du Nord… Vous êtes philosophe, disait-il et je le suis aussi. Ma foi, Sire, nous ne le sommes ni l’un ni l’autre. »

On sent assez que, sur ce dernier point, il avait raison.

Ses demandes aboutissent enfin. Avec la grossièreté injurieuse dont il avait comme peu d’autres le secret, Frédéric lui permet de partir. Mais on se revoit encore et d’un air tout réconcilié. Voltaire revient à Sans-Souci, passe près d’une semaine dans cette claire chambre aux panneaux sculptés.

Sans doute, il regardait aux allées du jardin noble et calme, la bande moqueuse des illusions, des espoirs trahis passer et disparaître. Pendant les derniers jours qu’il vécut là, avant de partir pour l’inconnu, le vieil homme, bafoué, humilié, déçu, avait-il le cœur gai ? Combien on voudrait être sûr qu’il songeait seulement aux plaisanteries qu’il allait