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potsdam

avoir occasion de faire les expériences qu’il résume ensuite et intitule : Dictionnaire à l’usage des rois :

«  Mon ami signifie : mon esclave. — Mon cher ami veut dire : vous m’êtes plus qu’indifférent. — Entendez par : je vous rendrai heureux : je vous souffrirai tant que j’aurai besoin de vous. — Soupez avec moi ce soir signifie : je me moquerai de vous ce soir. »

Appeler Voltaire à Berlin pour se moquer de lui, ce n’était pas une entreprise de bon sens, et qui pût tourner à la satisfaction générale. Malgré sa poltronnerie, son goût de l’argent, sa vanité, Voltaire n’est pas un Pollnitz, un La Mettrie, ni même un d’Argens. Le roi s’aperçut que cet « esclave » pouvait secouer la chaîne, et que, fût-on le Grand Frédéric, on n’est pas si aisément le maître de Voltaire. Voltaire a prouvé au Salomon du Nord que sa volonté, ses ordres, sa colère, tout cela quelquefois était vain. Et malgré les moyens fâcheux qu’employa « le drôle, le bélître, le faquin » pour réussir une telle démonstration, eh bien, on est content qu’il l’ait réussie.

Voltaire est en Prusse depuis très peu de temps lorsqu’un seigneur de la cour perd sa femme, et aussitôt le roi écrit au veuf une lettre de consolation si tendre, que chacun en est touché. Le même jour, ce même roi fait une épigramme atroce sur la morte. Et Voltaire en a l’âme toute