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fin, et lorsque « Marc Aurèle » devient « le tyran Denys », il lui gardera ce frémissant intérêt, rageur, amer et secrètement attendri, qui dure encore après le véritable amour.

Il s’est mal comporté, sans doute. Mais pour apprécier ses actes avec justice, il faut se rappeler constamment que ce féroce railleur, cet homme dont l’esprit prodigieux pénètre d’une pointe si aiguë, ce satanique Voltaire a été, du commencement à la fin : un enfant.

Il joue des tours d’écolier inventif et irréfléchi, cède à l’impulsion comme un gamin qui n’a pas encore appris la contrainte. Dans les pires roueries, il rappelle ces petits qui s’imaginent que nul ne les voit dès qu’ils ferment les yeux. Les enfants ont une peur atroce de l’ombre où il n’y a rien, et se précipitent tête basse dans les dangers réels. Ainsi fait-il. Et il ment à leur manière, et pour les mêmes raisons.

Lorsque l’enfant s’obstine à nier une faute, il a le vague espoir qu’à la fin ce sera comme s’il ne l’avait pas commise. C’est qu’il croit aux paroles, à celles qu’on lui dit, à celles qu’il dit, et leur attribue une action transformatrice. Il ment pour qu’on ne sache pas ce qu’il a fait ? certes, et aussi : pour que tout soit changé.

Ce don de traiter la vie comme un jeu, cette confiance puérile en la force des mots, promptement détruits chez la plupart des êtres, persistent chez le verbal. Pour lui, rien de ce qui n’est pas encore formulé n’existe véritablement ; mais tout ce qui