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potsdam

Jamais Frédéric II n’aima vraiment Voltaire, non pas même lorsque, prince royal, il lui adressait des lettres si tendres. Il l’admirait, certes. Mais, entre contemporains, si l’admiration, pour extrême qu’elle soit, reste dans l’esprit et n’entre pas jusqu’au cœur, il est difficile qu’une nuance d’envie ne s’y mêle pas. Une grande admiration qui ne crée aucun amour, cherche des revanches. On croit deviner quelque chose de cela chez Frédéric, même à l’époque où il traite Voltaire de « Virgile français » et non de bélître, de drôle, de fripon — de bien mieux encore comme il fit après les tours pendables, les malices retorses, les audacieuses désobéissances. Le meilleur de Voltaire, Frédéric ne le connut pas, et, ne s’en souciait guère, mais tout de suite il connut le pire, en joua et, d’abord, y prit son amusement. Ce dut lui être un subtil plaisir, de dénigrer à part lui le flagorneur, le vaniteux qui aimait l’argent, avait de piteuses faiblesses… et qui écrivait de si merveilleuse façon. Cependant, — les durs réalistes cèdent parfois à la chimère, — cependant il a dû croire qu’il parviendrait à domestiquer un individu d’apparence si flexible, si facilement pris à l’éloge, plus facile encore à effrayer. Dans toute l’aventure, Frédéric n’apporta que cette seule illusion, faite de confiance en lui-même, en sa volonté irrésistible, et de mépris.

Ayant promis de venir à Berlin, Voltaire diffé-